Dr Anna Boctor, nouvelle présidente de Jeunes Médecins : « Il faut un syndicat unique pour représenter tous les médecins, PH et libéraux, car on est tous dans le même bateau »

Article Article

Pédiatre spécialisée en maladies respiratoires, Anna Boctor a été élue le mois dernier à la tête du syndicat Jeunes Médecins, qu’elle veut restructurer de fond en comble. Unité de la profession, attractivité des carrières et lutte contre la financiarisation sont les maîtres-mots de son mandat. 

Dr Anna Boctor, nouvelle présidente de Jeunes Médecins : « Il faut un syndicat unique pour représenter tous les médecins, PH et libéraux, car on est tous dans le même bateau »

© Gabriel Gorgi

What’s up Doc : Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est Jeunes Médecins ? 

Anna Boctor :  C’est un syndicat créé en 2019, dans le sillage de l’intersyndicale nationale des chefs de clinique et assistants (ISNCCA). Initialement, il représentait tous les jeunes médecins, quels que soient leur mode d’exercice, jusqu’à dix ans après l’obtention du DES. Depuis 2024, les statuts sont ouverts à tous, y compris aux internes et aux plus vieux. Aujourd’hui, avec plus de 6 000 adhérents, on représente des médecins de tous âges et de tous modes d’exercice. On va donc probablement changer de nom (rires)

 

Comment vous vous êtes rapprochée du syndicat ? 

AB. : En 2020, j’ai quitté Paris, puis le milieu hospitalier, car j’ai été discriminée. On m’a fait du chantage à l’enfant : je ne devais pas faire d’enfants si je voulais obtenir le poste que je convoitais. J’ai voulu écrire une tribune pour alerter l’opinion publique sur la discrimination dans les carrières des femmes médecins. J’ai donc contacté le syndicat pour qu’ils me mettent en relation avec d’autres personnes susceptibles de partager leur témoignage sur la question. La présidente de l’époque m’a aidée à rédiger et à porter cette tribune, qui a finalement été publiée dans Le Monde. À l’époque, comme c’était nouveau de parler de ces choses-là, la tribune, et la vidéo qui l'a accompagnée, ont fait l’effet d’une petite bombe, et beaucoup de jeunes médecins se sont identifiées à ma situation. Par la suite, j’ai occupé plusieurs postes dans le syndicat au niveau régional et national. J’ai par exemple été vice-présidente en charge de l’égalité femme-homme, dans le précédent mandat. 

« La discrimination faite aux femmes médecins n’est que le symptôme d’une violence systémique qui touche tout le monde »

La lutte contre la discrimination envers les femmes médecins, c’est quelque chose que vous portez toujours ? 

AB. : On lutte contre toutes les formes de violence dans les carrières médicales. La discrimination faite aux femmes médecins n’est que le symptôme d’une violence systémique qui touche tout le monde. Le débat public se focalise sur les violences sexuelles, à juste titre bien-sûr, mais la violence reste globale. Tout le monde est confronté à la hiérarchie écrasante et au management toxique. 
C’est pour cette raison que l’on veut représenter tous les médecins, sans faire de différences entre les généralistes et les autres spécialités, ou entre les hospitaliers et les libéraux. Car cela n’a pas de sens pour nous. On est tous dans le même bateau : on est tous médecins et on veut tous soigner de manière scientifique, dans la loyauté et l’empathie. 
C’est aussi pour cela qu’on veut désormais représenter les internes. On s’est rendu compte que les jeunes ne dialoguaient pas forcément avec leurs ainés, alors qu’ils ont quand même une petite idée de ce qui les attend. Nous, on veut replacer le dialogue intergénérationnel au cœur du syndicat, pour que les jeunes aient plus de clés pour négocier avec les instances et prendre des décisions sur les modalités de leurs études. 

 

Vous comprenez quand même l’importance d’avoir différents syndicats pour défendre des intérêts spécifiques ?

AB. : Non ! Pour moi, on doit avoir un seul et même syndicat pour tout le corps médical, car on travaille tous pour le même objectif. Oui, il existe des spécificités liées aux modes d’exercice et aux spécialités, et c’est pour cela que Jeunes médecins se structure en différents collèges. Sur ce point, je veux aller plus loin que mon prédécesseur, le Dr Emmanuel Loeb. On est d’ailleurs en train de restructurer tout le syndicat, avec l’aide d’experts non-médicaux, justement pour répondre à cet enjeu. Mais toujours en gardant notre ADN : porter la voix de la profession dans une unité globale et à travers un dialogue intergénérationnel. 

 « On ne veut surtout pas opposer le médecin au patient, on veut surtout opposer l’absurde au pragmatisme »

Pour continuer sur la violence, vous n’avez pas rejoint la journée de mobilisation contre les violences faites aux soignants, le 12 mars ? 

AB. : On ne s’y identifie pas forcément, car ce que nous voulons, c’est lutter contre l’origine du problème. Aujourd’hui, la violence des patients envers les médecins est souvent due à un défaut d’accès aux soins ou à des demandes de certificats abusifs, un problème de longue date. Beaucoup d’organismes ou d’employeurs demandent à leurs employés, nos patients, des certificats qui sont soit inutiles soit illégaux. Les médecins, dans leur bon droit, refusent de délivrer ces certificats, ce qui engendre des tensions et de la violence, car les patients sont pris en étau. Moi-même, j’y fais régulièrement face en consultation.
Chez Jeunes Médecins, on ne veut ni cristalliser la relation entre le médecin et le patient, ni taper sur le patient. On veut lutter contre l’origine de la violence : cette société du « tout, tout de suite » et la politique du parapluie des assurances. Ce n’est pas en réclamant un délit d’outrage que les choses vont s’arranger.
L’important pour nous, c’est de privilégier le dialogue entre la profession et les instances, comme la CNAM et le ministère. Nous, médecins, avons besoin d’eux, et eux ont besoin de nous. Il faut travailler ensemble pour imaginer des mesures plus efficientes et plus constructives, comme des sanctions contre les organismes qui formulent ces demandes abusives. On ne veut surtout pas opposer le médecin au patient, on veut surtout opposer l’absurde au pragmatisme.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/video/la-consult-de-killian-lhelgouarch-porter-la-voix-de-tous-les-internes-de-france-pendant-un

La lutte contre la financiarisation de la médecine fait également partie des axes de votre mandat. Pourquoi est-ce si important ? 

AB. : On pense en termes de modèle économique vertueux. Aujourd’hui, on voit qu’il y a des dérives potentielles, notamment avec l’intelligence artificielle, mais surtout avec le rachat de structures de biologie médicale et de radiologie par des fonds d’investissements, dont les modèles économiques ne sont justement pas très vertueux. La plupart des activités financières de ces structures sont solvabilisées par l’Assurance maladie, et se dire que cette solvabilité permet d’enrichir des investisseurs, notamment étrangers, n’est pas acceptable. À ce titre, on doit encadrer les circuits économiques et limiter les rachats. 

Aucun commentaire

Les gros dossiers

+ De gros dossiers