© Hervé Maisonneuve / iStock
À 75 ans, le Dr Hervé Maisonneuve est un expert reconnu du sujet. Médecin de santé publique, il a d’abord consacré une quinzaine d’années à la recherche clinique avant de se tourner vers la rédaction scientifique et la formation à la publication médicale.
Ancien président de l’Association européenne des rédacteurs scientifiques, auteur du blog Rédaction Médicale et Scientifique, il a largement contribué à la mise en place du dispositif national d’intégrité scientifique en France et à la sensibilisation des chercheurs aux bonnes pratiques. Il est d’ailleurs l’auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.
En août dernier, le septuagénaire a été l’un des trois experts choisis par le ministre de la Santé Yannick Neuder pour conduire une mission sur la désinformation en santé, aux côtés de Dominique Costagliola, épidémiologiste et biostatisticienne, et de Mathieu Molimard, professeur de pharmacologie clinique.
What’s up Doc : Qu’est-ce qui différencie une fake news d’une simple information erronée ?
Hervé Maisonneuve : On n’utilise pas tellement le terme fake news. On préfère parler de désinformation et de mésinformation. Ce qui définit la désinformation, c’est son caractère volontaire. Des gens vont propager des idées tout en sachant qu’elles sont fausses, avec des intentions diverses : économiques d’abord, sectaires ou complotistes. La mésinformation, elle, désigne la propagation d’idées fausses par erreur.
On connaît le vaccin, la nutrition … Quels sont les grands domaines de la médecine toujours en proie à la désinformation ?
HV. : De manière générale, la désinformation est présente dans les domaines extérieurs à la médecine, mais qui ont un impact sur la santé, comme le climat et l’environnement. Dans le champ médical, les principaux sujets concernés sont les vaccins, la nutrition et les médecines non-conventionnelles (naturopathie, fasciathérapie). Des disciplines qu’on appelle d’ailleurs « médecine » à tort, puisque ce terme leur est interdit.
Le terme « pseudomédecine » vous semble-t-il plus approprié ?
HV. : En réalité, dès qu’on utilise le mot médecine pour des pratiques qui n’en sont pas, on crée de la confusion dans l’esprit du public. Il faut savoir que la désinformation est très probablement favorisée par les déserts médicaux. Les malades ont tendance à se tourner vers l’offre de soins qu’ils trouvent, et ce sont les naturopathes et autres professionnels alternatifs qui occupent le terrain. Le désert médical est un véritable terreau fertile pour la désinformation.
« Nous avons déjà 120 entretiens et encore une trentaine à réaliser »
Pourquoi cette mission d’expertise vous a-t-elle été spécifiquement confiée à vous trois ?
HV. : Nous nous étions manifestés lors d’une tribune au printemps en faveur de la création d’un portail unique d’information médicale. Nous avons suggéré au ministère que cette mission soit confiée à des professionnels qui connaissent le terrain. Nous trois avons été pris à partie, avons connu les tribunaux et avons été menacés. Et cela continue : beaucoup de personnes des milieux complotistes ont tenté d’interférer pour que nous ne soyons pas désignés.
Le changement récent de gouvernement n’a pas d’effet sur la conduite de la mission ?
HV. : Non, elle a été pérennisée. D’une part, c’est une mission tenue par le cabinet, et d’autre part la nouvelle ministre, Stéphanie Rist, a redonné son feu vert. Le rapport est toujours attendu pour la mi-décembre.
Où en êtes-vous après plus de deux mois ?
HV. : Nous avons déjà réalisé 120 entretiens et il nous en reste une trentaine avant de rédiger le rapport. Ce sont des échanges très riches avec des interlocuteurs variés, qui d’ailleurs ne se limitent pas au secteur de la santé : sociétés savantes, universités, académies, mais aussi réseaux sociaux, personnel de l’Éducation nationale et divers acteurs de terrain.
La méthodologie, c’est donc essentiellement du qualitatif avec des entretiens ?
HV. : Oui. Nous travaillons selon une approche en cinq axes, que nous avons appelé D.E.F.I.S :
- Diagnostic : identifier tous les outils permettant d’anticiper les infodémies, notamment via la modération ;
- Éducation : renforcer l’éducation et l’esprit critique dès le plus jeune âge ;
- Formation : développer les compétences en vulgarisation et communication scientifique des professionnels de santé ;
- Information : diffuser les informations fiables et accessibles par des autorités officielles ;
- Sanction : appliquer les lois existantes et responsabiliser les plateformes numériques
« Ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis va s’amplifier dans les mois à venir »
Au moment de l’annonce de la mission, rien n’a été précisé concernant les moyens qui lui seront alloués. Cela ne risque pas de limiter la portée d’un projet qui se veut ambitieux ?
HV. : Effectivement, nous n’avons pas de moyens. Nous ne recevons pas d’argent et ne sommes même pas défrayés pour nos déplacements. Sans le soutien de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), nous devons nous débrouiller, notamment en recourant à l’intelligence artificielle pour retranscrire les entretiens. L’immédiateté et l’urgence des ministères ont eu raison du format.
Vous comprenez le caractère urgent de cette mission ?
HV. : Oui. C’est en réaction à ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, avec le ministre de la Santé R.F. Kennedy et toute la désinformation qu’il propage, notamment autour du vaccin contre la rougeole et du paracétamol. Ce phénomène va inévitablement s’amplifier dans les mois à venir. Et en France, nous ne sommes pas épargnés. Il suffit de taper le mot « vaccin » sur le site de la Fnac pour voir défiler des ouvrages complotistes. Même sur la question du vaccin, la désinformation est dépendante du pays.
https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/les-fake-news-medicales-mais-pourquoi-y-croit
Il y a donc des fake news exclusivement françaises ?
HV. : Dans l’Histoire des fake news franco-françaises, on peut citer celle selon laquelle le vaccin contre l’hépatite B provoquerait la sclérose en plaques. Elle a créé une grande panique médiatique mais ne s’est pas exportée en Angleterre. À l’inverse, la fausse rumeur sur le lien entre le vaccin ROR et l’autisme, très diffuse Outre-Atlantique, circule moins en France. Et bien sûr, il y a eu l’épisode de l’hydroxychloroquine pendant le Covid, qui, lui, s’est diffusé à l’international.
« Plus que lutter contre la désinformation, il s’agit de propager la bonne information. Sinon on reste dans une logique de réaction, pas d’anticipation »
Dans votre tribune de mai, vous appeliez à la création d’un portail de santé unique pour les citoyens. Quelle forme prendrait-il ?
HV. : Nous n’avons pas encore les détails techniques. L’idée, c’est de constituer un corpus connu d’information fiables sur lequel une IA pourrait s’appuyer pour répondre aux questions des citoyens. Un moyen de concurrencer les fausses informations que l’on peut trouver sur des outils comme ChatGPT.
À quel niveau de la chaîne de la désinformation se situent les médecins ? Peuvent-ils en être victimes ?
HV. : Une partie de la désinformation est effectivement véhiculée par des professionnels de santé, pas que des médecins, volontairement ou non. Certains en sont donc à l’origine. Est-ce qu’ils peuvent en être victimes ? Nous n’avons pas les données solides pour l’affirmer, simplement des observations et témoignages qui vont dans ce sens.
https://www.calameo.com/whatsupdoc-lemag/read/00584615472d49c2ae23e?page=1
Quel rôle les médias de santé comme What’s up Doc ont à jouer dans la lutte contre la désinformation ?
HV. : Plus que lutter contre la désinformation, il s’agit de propager la bonne information. C’est une nuance importante : elle permet de passer d’une logique de réaction à une logique d’anticipation. Dans cette perspective, les médias, particulièrement de santé, sont indispensables. Face à une fake news, deux options s’offrent à nous : l’ignorer et la laisser se propager, ou rentrer dans le débat, ce qui revient à partiellement la légitimer. C’est pourquoi il est important de se concentrer sur la bonne information, plutôt que sur le débunkage systématique.
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