« L’EMDR est un accélérateur de résilience chez l’enfant » : Entretien avec le Dr Emmanuel Contamin, pédopsychiatre, superviseur EMDR Europe

Article Article

Reconnue par l’OMS et la HAS, l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) s’impose comme l’une des thérapies les plus étudiées pour le traitement du stress post-traumatique. Le pédopsychiatre Emmanuel Contamin explique pourquoi cette approche, adaptée aux enfants et adolescents, répond aujourd’hui à l’explosion des troubles psychiques liés aux crises contemporaines.

 

 « L’EMDR est un accélérateur de résilience chez l’enfant » : Entretien avec le Dr Emmanuel Contamin, pédopsychiatre, superviseur EMDR Europe

© Midjourney x What's up Doc

 

D'abord utilisée pour les vétérans de guerre, la thérapie EMDR s’impose aujourd’hui dans les cabinets de pédopsychiatrie. Objectif : faire face à la hausse préoccupante des troubles anxieux et dépressifs chez les jeunes. En effet 14% des 10-19 ans souffrent de troubles mentaux d’après l’OMS. Le Dr Emmanuel Contamin, pédopsychiatre, superviseur EMDR Europe et auteur de Les 5 cercles de la résilience (Larousse puis BoD), plaide pour une meilleure intégration de cette méthode dans les parcours de soins.

Développée en 1989 par Francine Shapiro et validée par l’OMS et la Haute Autorité de Santé, l’EMDR repose sur la stimulation bilatérale alternée (mouvements oculaires, tapotements, stimulations tactiles) pour retraiter des souvenirs traumatiques figés dans la mémoire émotionnelle. Chez l’enfant, elle engage activement la famille et vise à restaurer un système d’attachement sécurisant, clé du processus de résilience.

 

What’s Up Doc : Quels constats dressez-vous aujourd’hui sur la santé mentale des jeunes ?

Dr Emmanuel Contamin : Les chiffres de Santé publique France sont clairs : 8,3 % des enfants de 3 à 6 ans présentent une difficulté probable de santé mentale, et ce taux grimpe à 13 % chez les 6-11 ans. Chez les adolescents, environ 15 % présentent des troubles dépressifs modérés à sévères. Entre 2018 et 2022, les tentatives de suicide ont augmenté de 30 % chez les 11-17 ans.
Les causes de la dégradation sont multiples : l’impact durable du Covid, l’écoanxiété, l'impact des écrans comme le harcèlement en ligne, mais aussi l’augmentation des inégalités sociales. Les jeunes des milieux précaires, en particulier ceux suivis par l’Aide sociale à l’enfance, sont les plus vulnérables. On assiste à une véritable crise de santé publique.

 

« L’EMDR est une méthode thérapeutique, pas seulement une technique »

 

En quoi l’EMDR est-elle spécifiquement adaptée aux enfants et adolescents ?

EC. : L’EMDR est d’abord une méthode thérapeutique complète, et non une simple technique. Si elle a été développée initialement pour les vétérans de guerre, elle a depuis été validée chez l'adulte par plus d’une dizaine de méta-analyses, et par de nombreuses études chez l'enfant.
Cette thérapie intègre des apports issus de la théorie de l’attachement et de la neuropsychologie. Chez les plus jeunes, les traumas sont souvent relationnels, liés à des carences affectives ou à des violences intrafamiliales. On ne peut donc pas soigner un enfant sans prendre en compte son système familial. Ainsi, plus l’enfant est jeune, plus la participation des parents est déterminante. C’est pourquoi les parents prennent part au processus et deviennent en quelque sorte des « co-thérapeutes ». L’objectif est de sécuriser le lien d’attachement, car la résilience de l’enfant dépend de la capacité de son entourage à lui offrir une contenance émotionnelle stable.

 

Comment se déroule une séance type ?  

EC. : Une séance dure généralement entre une heure et une heure trente, parfois quarante-cinq minutes chez l’enfant. Elle suit un protocole en huit étapes : alliance thérapeutique, identification du trauma, phase de préparation (apprentissage de la régulation émotionnelle), puis travail de désensibilisation à travers la stimulation bilatérale alternée.
Le patient se reconnecte à ses perceptions sensorielles et à ses pensées négatives liées au trauma, ainsi qu'aux émotions et sensations associées. Par cycles successifs, la charge émotionnelle diminue. On installe ensuite une cognition positive. Par exemple : « je mérite d’être protégé » pour un enfant maltraité. Enfin, le thérapeute vérifie que le souvenir ne déclenche plus de réaction émotionnelle incontrôlée dans le présent.
Pour les traumas simples, trois à six séances peuvent suffire. Les cas complexes, ceux liés à des traumatismes précoces ou multiples, demandent un suivi plus long, parfois sur plusieurs mois. C’est un accélérateur de thérapie, mais pas une solution miracle.

 

Quels bénéfices cliniques observez-vous le plus souvent ?

EC. : Chez les enfants, on voit très vite la différence : le sommeil s’améliore, les cauchemars s’arrêtent, les réactions émotionnelles deviennent plus ajustées. Surtout, ils reprennent leur trajectoire de développement normale.
Et parfois, au-delà de la disparition des symptômes, on observe ce qu'on appelle une croissance post-traumatique : l’enfant ou l’adolescent ressort de cette traversée avec une compréhension nouvelle de lui-même, une profondeur, une capacité de compassion accrue.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/une-etude-explique-la-psychologie-des-victimes-dattentats-la-defaillance-du-mecanisme

Quelles précautions doivent être prises ?

EC. : L’EMDR doit impérativement être pratiquée par des psychologues, psychiatres ou médecins formés par des organismes agréés EMDR France / EMDR Europe.
L’association garantit un haut niveau de supervision et impose une réaccréditation tous les cinq ans, accompagnée de formations continues et d’une commission éthique. À l’inverse, des formations dites « sauvages » peuvent mettre les patients en danger, notamment lorsqu’il existe des troubles dissociatifs.
Chez l’enfant, la sécurité du système d’attachement est la première condition du travail thérapeutique. Si l’environnement familial est instable ou violent, la priorité est de stabiliser la situation avant toute désensibilisation.

 

Ajoutons que, la thérapie comprend une phase d’apprentissage de la régulation émotionnelle, que le patient peut réutiliser seul. Le Dr Contamin a d’ailleurs publié Prenons soin de nous - Exercices d’autothérapie (Larousse Poche) pour transmettre ces outils simples de stabilisation émotionnelle et de renforcement des ressources internes.

 

Lien utile : 
Association EMDR France : www.emdr-france.org (avec un annuaire des praticiens)
Aucun commentaire

Les gros dossiers

+ De gros dossiers