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Les promoteurs de l’oncologie intégrative assurent vouloir mieux prendre en compte les patients dans leur globalité. « Notre idéologie, c’est de passer d’une médecine centrée sur la maladie à une médecine centrée sur l’individu », expose à l’AFP Alain Toledano, dans son bureau de l’Institut Rafaël (Levallois-Perret).
Principal avocat de cette démarche en France, l’oncologue et radiothérapeute a cofondé en 2018 la structure, revendiquée comme le « premier centre de médecine intégrative européen », puis lancé en 2021 une chaire « santé intégrative » au Conservatoire national des arts et métiers et, en 2023, la Société française d’oncologie intégrative.
En France, plusieurs services de cancérologie s’inscrivent dans une démarche intégrative, avec une palette de nuances.
Si les cancérologues reconnaissent la nécessité de mieux prendre en charge les patients et les effets secondaires des traitements, le concept d’« oncologie intégrative » crispe certains professionnels.
« Sortir ce concept comme nouveau, ce n’est pas très juste », considère Ivan Krakowski, oncologue médical et ex-président fondateur de l’Association francophone pour les soins oncologiques de support (Afsos).
Soins reconnus ou pratiques contestées
Prise en charge de la douleur, diététique et nutrition, activité physique, prise en compte des troubles de la sexualité… L’Institut national du cancer (INCa) a établi en 2016 une liste de neuf soins de support considérés comme « indispensables », à l’efficacité démontrée.
Remboursés, totalement ou partiellement, par l’Assurance maladie, ils doivent être proposés aux patients.
Inclure les soins de support reconnus dans les traitements du cancer, « c’est une véritable cancérologie globale », juge Ivan Krakowski, pour ne pas reprendre le terme « intégratif, à la mode ». Il se montre réticent devant « des démarches un peu médiatiques » poussant pour intégrer des pratiques au « niveau de preuves très insuffisants ».
Même tonalité chez Jérôme Barrière, oncologue engagé contre la désinformation : il se « méfie énormément » du « concept de médecine intégrative, qui veut ajouter des pratiques ésotériques ou relevant de la croyance ».
Sur plus de 50 disciplines proposées à l’Institut Rafaël figurent des soins de support reconnus, mais aussi des pratiques comme de l’immersion sensorielle, de l’auriculothérapie, de la naturopathie ou de l’homéopathie.
C’est là que la division s’opère, expose Norbert Ifrah, président de l’INCa. Car ces dernières pratiques « n’ont pas fait la preuve scientifique de leur efficacité sur l’amélioration des chances de guérison ou de qualité de vie des malades », elles « relèvent du bien-être ».
La preuve au cœur du débat
De son côté, Alain Toledano assure que, dans son institut, l’efficacité de chaque soin est « prouvée » via « une évaluation scientifique » : « Chaque patient évalue ses symptômes et la qualité des soins, ce sont des évaluations quantitatives et qualitatives ».
Dubitatif, Grégory Ninot, chargé de recherche à l’Institut du Cancer de Montpellier et créateur d’un « modèle » pour évaluer les interventions non médicamenteuses, pointe qu’« il ne s’agit pas d’études mais de simples collectes d’opinions ».
Pour intégrer une pratique au traitement du cancer, la frontière « devrait être définie par la preuve, non la satisfaction », surtout « quand la pratique est proposée gratuitement », comme à l’Institut Rafaël, financé par du mécénat et des dons.
Ivan Krakowski souligne d’ailleurs que la Société française d’oncologie intégrative (SFOI) est soutenue par plusieurs laboratoires « bien-être », comme Boiron, principal fabricant de l’homéopathie.
Dans son deuxième congrès, mi-novembre, la SFOI a ainsi consacré une conférence au « top 10 » des traitements homéopathiques en oncologie. Or, rappelle l’oncologue, l’homéopathie n’est plus remboursée en France depuis 2021, pour cause d’efficacité insuffisante selon la Haute autorité de santé.
Mais « combattre les discours les présentant comme des miracles est important, pour autant il ne s’agit pas de bannir les plantes, huiles essentielles ou l’homéopathie, dont l’efficacité ne peut être prouvée scientifiquement avec le même niveau de preuve qu’un médicament », considère Muriel Dahan, directrice de la recherche et du développement d’Unicancer (regroupement des centres de lutte contre le cancer), oratrice d’une autre session du congrès.
La crainte des dérives
Interrogé sur l’oncologie intégrative, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) reconnaît « une zone grise », où certains acteurs « utilisent le terme intégratif pour légitimer des pratiques ni éprouvées ni réglementées ».
La naturopathie, par exemple, « ne fait l’objet aujourd’hui d’aucune validation scientifique, ni formation reconnue par les pouvoirs publics », rappelle Hélène Harmand-Icher, membre du Cnom.
Inclure aux soins anti-cancéreux des pratiques à l’efficacité non démontrée, « sous prétexte que ça ne fait pas de mal », pourrait « légitimer des pratiques à risque de dérives sectaires », craint Pierre de Bremond d’Ars, président du Collectif No FakeMed.
« Ces champs plus ou moins bien définis et délimités sont des vecteurs d’entrée possibles de dérives », abonde Norbert Ifrah, pas opposé à des activités de bien-être dans des établissements « rigoureux » traitant le cancer afin d’éviter tout « amalgame ».
Dans certains cas, l’approche intégrative peut être « pertinente », abordée « de manière scientifique », « sans fausses promesses », selon Stanislas Quesada, secrétaire général de la Société française du cancer.
« Pour l’acupuncture, le yoga ou la relaxation, des données commencent à émerger, avec un niveau de preuve restant modéré mais permettant de commencer à ouvrir la porte », développe cet oncologue médical à l’Institut du cancer de Montpellier (ICM).
Alors que des associations surfent sur la tendance de l’oncologie intégrative, Ivan Krakowski appelle à doter davantage les établissements traitant le cancer « pour qu’ils puissent renforcer leur offre de soins de support », plutôt que « de détourner des moyens vers des pratiques encore non prouvées ».
Avec AFP
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