Jodie Foster dans Vie privée
Un film aussi foufou que maîtrisé qui semble le fruit d'une collaboration idéale entre une réalisatrice et son actrice en symbiose et en liberté.
Le jeu et le rêve. Deux piliers de la psychanalyse, deux moyens d'accéder à l'enfance autrement que par les souvenirs conscients. Le dernier film de Rebecca Zlotowski, hommage vibrant à la psychothérapie, n'est finalement que cela, un jeu et un rêve, ou plutôt un fantasme, une somme de fantasmes, un fantasme absolu. Celui que la réalisatrice alimente autour de la cure analytique et de l'hypnose, abordées de façon certes très schématiques mais pour mieux nous rappeler à quel point elles sont cinégéniques - probablement le seul point sur lequel la psychanalyse surpassera toujours les autres approches.
« Zlotowski et sa co-scénariste Anne Berest ont indubitablement rêvé ce film, un rêve-jeu, un jeu de piste géant et intime »
Le fantasme réside également dans le fait de faire jouer Jodie Foster en français, dans un film à ce point français, à ce point parisien surtout, et de l'y voir à son aise, étonnamment et incroyablement, au point que l'on ne pourrait imaginer ce film sans elle, sans son alchimie avec son partenaire de jeu aussi, un Daniel Auteuil délicieux comme jamais et qui n'avait pas été aussi bien dirigé depuis longtemps. Zlotowski et sa co-scénariste Anne Berest ont indubitablement rêvé ce film, un rêve-jeu, un jeu de piste géant et intime auquel est soumise cette psychiatre hypercontrôlante dans le seul but de la perdre pour, à la fin, mieux qu'elle se trouve.
Vie privée de quoi ?
Le fantasme, enfin, est un peu le nôtre, celui du psy qui, dans la même semaine où une tragique actualité lui rappelle qu'il est possible de mourir dans ses fonctions et de la main d'un patient, a conscience que certaines prises en charge peuvent aussi le changer voire, pourquoi pas, le sauver. Le fantasme de guérison par procuration : c'est sur cette très belle idée que finalement repose entièrement Vie Privée, dont le titre est à lui seul un jeu de mots très analytique, à plusieurs tiroirs. Une vie privée, mais privée de quoi exactement ? C'est en tout cas comme cela que l'on perçoit cette professionnelle aguerrie mais surtout qu'une forme de déni généralisé - sur elle-même en premier lieu - semble avoir appauvrie dans sa pratique, elle qui n'écoute plus personne.
L'adjectif du titre a aussi à voir avec le genre policier, le psychiatre n'étant jamais loin, toujours dans la fantasmatique, de l'enquêteur. Lilian Steiner va franchir la barrière interdite à ses risques et périls, pour se muer en détective et se mettre en quête de résoudre un mystère devenu vital et obsédant pour elle : qu'est-il arrivé à sa patiente, qu'elle se refuse à croire suicidée ? À cette interrogation matérielle se greffe une seconde, autrement plus existentielle et vertigineuse : par quoi étaient-elles donc liées ? C'est au bout de recherche échevelée, d'une finesse souvent très drôle, servie par une brochette d'acteurs français les meilleurs et à leur meilleur, que la conclusion surviendra, évidente parce que terriblement bien accouchée.
La judéité célébrée
Enfin, ajoutons que Vie privée est un film émouvant de par la joie-même qu'il procure, tant on n'espérait plus qu'il puisse encore s'en faire. Zlotowski convoque une cohorte d'érudits aujourd'hui disparus, Leo McCarey et Hitchcock au premier plan, mais pas seulement : c'est toute une judéité qu'elle célèbre, celle qui a accompagné la littérature et les sciences humaines de ces trois derniers siècles, et qu'elle refuse de voir mourir. Voici un film qui n'évoque jamais le 7 octobre et ses conséquences sur la communauté juive française, qui pourrait se passer avant comme après cette tragédie, et qui pourtant en semble empli, en sourdine, une forme d'écrin servant à sanctuariser un inventaire de souvenirs fétichisés, le merveilleux côtoyant constamment le traumatique. Mais cet inventaire-ci est l'inverse d'une élégie, il sert avant tout au présent, à survivre, à évoluer encore plus qu'à consoler. Ce qui nous est conté avec autant de prouesse, c'est que, au-delà de savoir ce qui relève du destin ou du hasard, au-delà des traumatismes intimes et historiques, notre histoire nous sert avant tout à tracer notre voie. Si beau et si évident que l'on en pleurerait.