Changer la loi pour clarifier l'obligation de signalement des médecins et les protéger des poursuites est une des préconisations publiées fin mars par la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).
160.000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, selon la Ciivise, qui appelle tous les professionnels à les repérer. Or les médecins ne sont à l'origine que de 5% des signalements pour maltraitance, selon la Haute Autorité de santé.
Le Dr Françoise Fericelli a suivi Côme (prénom modifié), un enfant de 6 ans qui "était en grande souffrance psychologique". Le père sortait d'une hospitalisation en psychiatrie après une tentative de suicide. "Il s'était ouvert l'abdomen avec un couteau alors qu'il était seul avec ses enfants de 3, 5 et 6 ans", explique-t-elle.
Suivant l'enfant plusieurs années, la pédopsychiatre fait deux signalements en 2016 et 2018. Le père, financier, par ailleurs condamné pour violences conjugales, porte plainte contre elle devant le conseil de l'Ordre des médecins.
Devant la chambre disciplinaire du conseil régional de l'Ordre, "le père est entendu plusieurs heures et la parole m'est très peu donnée. Une chambre constituée de quatre hommes plutôt âgés, dont aucun n'est pédiatre ni psychiatre", observe le Dr Fericelli. Elle est sanctionnée d'un avertissement.
Quelques jours plus tard, le frère de Côme se donne la mort à l'âge de 10 ans, par pendaison, au retour de vacances avec son père. "Les langues se sont déliées à l'école : il avait raconté à des copains ce qu'il vivait chez son père : coups, insultes, viols répétés", se souvient le Dr Fericelli.
"Comment protéger les enfants si nous-mêmes médecins sommes désavoués par notre propre ordre professionnel ?", dit ce médecin qui a fait appel de sa sanction.
La pédopsychiatre Eugénie Izard a été condamnée à trois mois de suspension d'exercice de la médecine après avoir signalé des soupçons de maltraitance sur une enfant de 8 ans. Le Conseil d'Etat doit se prononcer sur cette sanction dans les prochaines semaines.
"Par peur de représailles, des médecins n'osent pas signaler", indique le Dr Izard, qui a passé des centaines d'heures à préparer sa défense. Un collectif Stop Violences Médecins a été constitué après les condamnations des Dr Fericelli et Izard.
La Ciivise demande de "clarifier, par la loi, le code de déontologie en faveur d'une obligation de signalement" en cas de suspicion de violences sexuelles et de "suspendre les poursuites disciplinaires" contre les médecins "protecteurs".
Une pétition avait été lancée par deux médecins, les Dr Catherine Bonnet et Jean-Louis Chabernaud.
« Certains parents agresseurs portent plainte contre le médecin signaleur »
Le code de déontologie des médecins donne des injonctions paradoxales : il "doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour protéger (la personne en danger) en faisant preuve de prudence et de circonspection". Dans le cas d'un mineur, "il alerte les autorités judiciaires ou administratives sauf circonstances particulières, qu'il apprécie en conscience".
"Il est essentiel que le secret médical protège la relation entre patient et médecin. Mais tout aussi essentiel que la protection des enfants soit une exception claire au secret médical, reconnue par la loi", explique le coprésident de la Ciivise, Edouard Durand.
"Le médecin n'est pas policier. Il signale et la justice enquête et protège l’enfant", explique ce juge des enfants.
Le conseil de l'Ordre n'a pas souhaité répondre aux sollicitations de l'AFP.
"Certains parents agresseurs portent plainte contre le médecin signaleur. C'est l'agresseur qui se retourne contre le protecteur, ce qu'on appelle le risque de représailles", avait confirmé fin mars la vice-présidente de l'Ordre, le Dr Glaviano-Ceccaldi.
Les médecins sont condamnés pour "immixtion dans les affaires de famille", "certificats de complaisance" ou "rapport tendancieux" au motif qu'ils auraient pris parti pour un des parents. Ou pour avoir écrit au juge des enfants plutôt qu'au procureur.
"Si un juge des enfants est déjà saisi pour protéger cet enfant, un médecin doit pouvoir lui transmettre des informations. Le processus de protection ne peut pas être un parcours semé de pièges", estime le juge Durand.
Avec AFP