Tout commence en 1971, alors que les études de médecine attirent de plus en plus les étudiants, les inscriptions en faculté triplent, passent de 3 000 à 9 000 étudiants par an.
La convention médicale de l’époque conclue avec l’Assurance-maladie a solvabilisé la clientèle et amélioré la situation financière des médecins. À ce moment, gestionnaires et syndicats médicaux se rejoignent pour demander une limitation du nombre de médecins formés par crainte d’être trop nombreux dans cette profession. À cette époque le choix n’est pas complétement infondé. Et le numérus clausus est arrêté à 8 588 étudiants.
En 1976, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales souligne la masse des dépenses sociales, 343 milliards de francs, qui greve le budget de l’Etat.
En 1977, Simone Veil, alors ministre de la Santé, considère que la France est trop pourvue en médecins, en équipements hospitaliers et en lits d’hôpitaux. Elle souhaite adapter la formation aux besoins. La solution proposée est la diminution du numerus clausus. Louis Fougère, conseiller d’État, rend son rapport sur la réforme des études médicales et propose un numerus clausus de 6000 étudiants.
Cette redoutable pénurie est clairement le fruit de gestionnaires à courte vue
À ce moment le SNESup souhaite un numerus clausus plus important. Au contraire la CSMF, la FMF et l’ANEMF souhaite que le numerus clausus soit diminué autour de 4 000 étudiants.
En 1987 il est fortement déconseillé de s’installer dans ce qui sera nos futurs déserts médicaux. À cette époque le conseil de l’Ordre de la Creuse est formel : il n’y a aucun avenir pour un jeune généraliste qui s’installerait dans ce département. Quasiment tous les ordres départementaux tentent de dissuader les jeunes médecins de s’y installer. C’était pourtant là le moment charnière où il aurait fallu augmenter le numerus clausus pour inverser le cours des choses.
L’Assurance-maladie devient le fer de lance du mouvement en faveur de la diminution du numerus clausus ; la caisse va jusqu’à considérer qu’il faut reconvertir des milliers de médecins. Gilles Johanet, son nouveau directeur et conseiller à la cours des comptes est en faveur de cette diminution et sera une des personnes à l’origine de la forte diminution à 3 500 étudiants en 1993. Il dira même à l’Express « qu’il y a 20 000 médecins à reconvertir ».
Le 10 décembre 1998 le gouvernement envisage d’augmenter le numerus clausus, moment où ils prennent conscience du risque de pénurie qui se profile pour les années 2 000. Seul contre tous, Gilles Johanet pèsera de tout son poids pour bloquer le numerus clausus au plus bas.
À présent les hospitaliers, l’Ordre des médecins et l’INED (Institut National d’Études Démographiques), et les doyens parlent de pénurie et pointent le manque de généralistes et d’anesthésistes entre-autre, mais la pénurie concerne bien l’ensemble des spécialités. Début des années 2000 le numerus clausus commence à être relevé. Comme 10 ans sont nécessaires pour "fabriquer" un médecin opérationnel il est déjà trop tard. En 2001 le numerus clausus augmente de 6,5 %, puis un peu chaque année, jusqu’à disparaitre en 2021.
Cette redoutable pénurie est clairement le fruit de gestionnaires à courte vue. Ils ont laissé perdurer une restriction à l’entrée dans les études médicales, sans prévoir que les besoins allaient augmenter suite aux progrès de la science. Les nouveaux traitements entrainent évidemment une espérance de vie plus longue, mais aussi le recours à des soins plus longtemps aussi et donc le besoin de plus de médecins. C’est sans fin !