Quand le traitement tue : Le thermalisme bouseux (et fatal) d’Héraclite

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Cet été, What’s up Doc vous présente quelques grands noms victimes de leur traitement médical. Aujourd'hui, le philosophe grec Héraclite (env. 540-480 av. JC), mort, selon la légende, en s'immergeant dans un bain d'excréments bovins. 

Quand le traitement tue : Le thermalisme bouseux (et fatal) d’Héraclite

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L’histoire l’a prouvé : être un génie n’a pas d’effet protecteur contre le risque iatrogénique ! « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », disait Héraclite, philosophe grec du Ve siècle avant notre ère. Dans le même fleuve, d’accord, mais dans le même tas de bouse ? L’œuvre de l’illustre penseur ne permet pas d’éclairer cette question. Sa fin tragique, en revanche, autorise à y répondre catégoriquement par la négative : la tradition veut que la seule fois où Héraclite ait tenté de remplacer l’eau de son bain par des déjections bovines, il en soit mort.

Bien sûr, il faut prendre l’anecdote pour ce qu’elle est : une légende. Elle a été relatée par Diogène Laërce au début du IIIe siècle après Jésus-Christ… soit plus 700 ans après les faits. Voici comment ce poète tardif raconte les choses. Héraclite vivait depuis quelque temps en ermite dans les montagnes environnant Éphèse, colonie grecque d’Asie mineure. Son régime alimentaire à base de feuilles et d’herbes ne lui avait pas réussi : il avait développé ce que la médecine antique appelait une hydropisie, c’est-à-dire probablement un œdème généralisé.

Héraclite quitte alors sa retraite pour recevoir un traitement, mais s’adresse aux médecins en termes si obscurs que la consultation tourna court. Il décide alors que sa science égale celle des émules d’Hippocrate (qui, d’ailleurs, n’était pas né). Il entre dans une étable et s’immerge dans la bouse, comptant sur la chaleur des excréments pour provoquer l’évaporation de son hydropisie. Parvenu à ce point de son récit, Diogène donne, selon les sources qu’il cite, trois fins possibles : soit le remède est inefficace et le philosophe meurt peu de temps après, soit on le retrouve inerte dans la bouse, soit des chiens le dévorent.

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Trop belle pour être vraie

Dans tous les cas, l’histoire est bien trop belle pour être vraie. Par bien des aspects en effet, cette mort correspond très exactement à l’idée que pouvaient se faire du personnage les lecteurs d’Héraclite. N’était-il pas celui qui professait que le feu, et donc la chaleur, était l’élément primordial, la source de toute chose ? « C’est la mort pour les âmes de devenir humides », enseignait-il.

Mais surtout, la mort d’Héraclite, seul dans un bain de bouse, semble être un juste châtiment envoyé par les dieux à un philosophe abscons, misanthrope à l’extrême, et plein de mépris pour les habitants de la cité d’Éphèse, dont il était originaire. « Ils se bourrent la panse comme le bétail », écrit-il philosophe à propos des Éphésiens dans ses Fragments. « Des milliers d’entre eux ne contrebalancent pas un homme excellent », affirme-t-il, toujours à propos de ses semblables. C’est à se demander si l’histoire malodorante de sa mort n’est pas une vengeance de ses concitoyens, lassés du sempiternel dédain que leur témoignait le grand homme.

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Pour aller plus loin
Kostas Axelos, Héraclite et la philosophie, Editions de Minuit, 1962
Theodor Gomperz, Les penseurs de la Grèce – Héraclite, Editions Manucius, 2009

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