Quand le traitement tue : la légende de l’abbé Prévost tué par le légiste

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Cet été, What’s up Doc vous présente quelques grands noms victimes de leur traitement médical. Aujourd'hui, l’écrivain français Antoine François Prévost (1697-1763), plus connu sous le nom d’abbé Prévost.

Quand le traitement tue : la légende de l’abbé Prévost tué par le légiste

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« Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende. » La célèbre réplique tirée de L’Homme qui tua Liberty Valence, western-culte de John Ford, s’applique à merveille à la mort de l’abbé Prévost : celui-ci est réputé avoir succombé sous le scalpel du médecin qui l’autopsiait. Que l’un des plus brillants écrivains français du XVIIIe siècle, personnage à la vie presque aussi aventureuse que celle de Manon Lescaut et du chevalier des Grieux, ses deux personnages les plus célèbres, soit en réalité banalement mort de ce qu’on appelait alors une crise d’apoplexie ne change rien à l’affaire : l’histoire entre si fortement en résonnance avec la peur, ancrée au fond de tout un chacun, d’être enterré vivant, qu’elle continue aujourd'hui encore à être colportée.

Ouvrez en effet n’importe quel ouvrage consacré aux morts stupides de l’histoire, et vous trouverez en bonne place celle de l’abbé Prévost. Le 25 novembre 1763, alors qu’il rentre à pied à travers la forêt de Senlis après un bon dîner chez ses voisin les bénédictins de Saint-Nicolas-d’Acy, le vieil abbé se sent mal : une crise d’apoplexie le foudroie, et il tombe raide mort. C’est du moins ce que croient ceux qui, le lendemain, découvrent son corps au pied d’un arbre. On ramène ce qu’on pense être sa dépouille à Saint-Nicolas-d’Acy, et le chirurgien chargé d’établir le procès-verbal ouvre le corps. C’est alors que survient le drame : sous le coup de la douleur, le macchabée pousse un cri déchirant. Le pauvre médecin tente de recoudre le défunt devenu patient, mais il est trop tard : Prévost meurt une seconde fois.

Mystification littéraire

Le seul souci, avec cette histoire trop belle (ou trop effrayante) pour être vraie, c’est qu’elle a été forgée de toute pièce par Pierre de La Place, ami et disciple de Prévost, qui a écrit vingt ans après les faits une épitaphe créditant le romancier d’ « avoir prévu sa mort ». Pour justifier sa formule, La Place avait exhumé un vieux texte paru dans Pour ou Contre, un périodique alors rédigé par l’abbé Prévost, où celui-ci avait relaté une anecdote concernant un mort revenu à la vie sous le couteau du chirurgien chargé de l’autopsier… On est donc en pleine mystification littéraire !

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/quand-le-traitement-tue-le-thermalisme-bouseux-et-fatal-dheraclite

La réalité est beaucoup plus triviale. Retiré du monde après voir mené une vie des plus tumultueuses, le célèbre écrivain est bel et bien mort frappé d’apoplexie en revenant d’un dîner chez ses amis de Saint-Nicolas-d’Acy. Son corps fut bien ouvert, ce qui ne provoqua nul cri, mais permit de mettre en évidence la rupture de l’aorte dont avait été victime l’écrivain. Voilà qui est moins romanesque, et moins digne de celui qui avait eu mille vies (curé, militaire, éditeur, écrivain, traducteur, journaliste…), celui que l’amour, la recherche de la gloire et du profit avaient mené en Amérique, en Hollande, en Angleterre où il dût s’exiler pour échapper à ses ennemis… Après tout cela, mourir d’une apoplexie sans péripétie aucune ? Mieux vaut imprimer la légende.

 

Pour aller plus loin

Jean Sgard, Vie de Prévost, Presses de l’Université de Laval, 2006
David Aliot et al., La tortue d’Eschyle et autres morts stupides de l’Histoire, Pocket, 2014

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