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Médecins du Monde a souhaité s'exprimer sur les faits rapportés. Vous trouverez leur réponse à la fin de l'article.
Dans le canal de discussion What’s App, des messages toujours plus horribles visent Carine R., présidente de l’association entre juin 2021 et juin 2022. Des insultes comme « salope », « grosse conne » ou « pestiférée » sont courantes. Mais aussi, des moqueries telles que « Carine est en short, vision d’horreur », « elle est débile Carine », ou encore « son coiffeur l’a ratée. »
Dans un long mail adressé à Médiapart, l’ONG se défend. Cette situation serait « exceptionnelle », même si l’organisme humanitaire admet qu’il y avait des « tensions », qui se sont apaisées aujourd’hui. Avant d’ajouter qu’ils désapprouvent ces comportements qui ne « reflètent pas les valeurs de l’humanitaire. »
La personne la plus virulente contre l’ex-présidente sur le groupe What’s App, se trouve être la DRH de l’ONG. Alors même que la victime s’était tournée vers elle pour l’aider à résoudre ses conflits avec le directeur général, Joël Weiler, lui toujours en poste.
Questionnée par Médiapart, la DRH affirme ne pas avoir de souvenir clairs de ces discussions. Et de toute façon, ces messages « n’étaient pas destinés à être diffusés. »
Une protection des salariés plus que douteuse
La loi Sapin dispose que chaque entreprise de plus de cinquante salariés mette en place un dispositif d’alerte interne. Pour MdM, ce dispositif s’appelle « alerte abuse ». Mais son efficacité laisse à désirer.
Jean-Baptiste M., directeur de la communication, faisait lui aussi partie de ce groupe What’s App. Il confie avoir participé aux moqueries mais par peur d’être exclu.
En effet, l’ancien salarié de l’ONG avait aussi été ciblé, notamment par le directeur général. Considéré comme « mou », « inutile » ou « ringard », la « blague » préférée de Joël Weiler était : « Le comité de direction est composé de trois hommes, trois femmes et de JB. »
Un harcèlement qui s’est intensifié lorsque Jean-Baptiste M. s’est opposé à l’appellation d’une « campagne féministe », préférant la qualifier « d’humanitaire et universelle. »
À la suite de cela, le directeur de la communication a été traité de « macho », « misogyne », « transphobe », et comparé à un ancien de MdM, condamné pour des violences sexuelles et sexistes.
Lassé, il saisit le dispositif d’alerte interne au bout de deux ans, le 12 juillet 2023. À son retour de vacances, le 25 juillet, il est licencié pour « faute grave. » Et entame donc une procédure aux Prud’hommes.
Si le cas de Jean-Baptiste M. est plus récent, les failles de « l’alerte abuse » semblent plus anciennes puisque Carine R., elle, avait refusé de déclencher le dispositif. Elle savait que la personne qui traitait ces alertes n’étaient autre que le directeur général lui-même.
C’est pourquoi elle était passée par la DRH pour apaiser les tensions avec Joël Weiller.
Des licenciements abusifs et mises à l’écart à la pelle
Quelques jours après que la présidente de l’ONG a confié ses différends à la DRH, un mail anonyme et intraçable parvient au directeur général, visant Carine R.
Ce « militant anonyme » déclenche une « alerte abuse » contre la présidente pour « corruption, fraude, harcèlement moral et sexuel. » Curieux donc, mais une enquête externe requise lorsque le dispositif est déclenché invalidera ces accusations.
Cette histoire a coûté sa place de présidente à Carine R. qui a perdu son mandat de présidente au bout d’un an, au lieu des trois ans prévus. Elle ne sera pas non plus réélue au conseil d’administration, mais plus grave encore : elle est désormais interdite de bénévolat pour Médecins du Monde.
Une mise à l’écart que la présidente estime due à la publication du signalement la concernant, alors que ces procédures doivent rester confidentielles. L’ONG reconnait ses torts : ils ne devaient pas rendre public l’affaire, mais estime que « cela ne semble pas avoir joué un rôle crucial dans l’échec de [Carine R.] à être réélue au Conseil d’administration. »
« Je pense que je suis arrivée dans un panier de crabe avec des équipes en grande souffrance. »
Des licenciements (ou mises à l’écart) qualifiés d’abusifs par les salariés concernés, il y en a d’autres.
Par exemple, une ancienne RH raconte aussi son enfer dans les colonnes du Parisien : « Je pense que je suis arrivée dans un panier de crabe avec des équipes en grande souffrance. » Rebelote, elle sera licenciée pour faute grave quelques mois plus tard.
Sophie* a aussi été licenciée pour « comportement inadapté » après qu’elle aussi a déclenché une procédure d’alerte interne. Selon MdM, c’est l’enquête externe réalisée à la suite de « l’alerte abuse » qui a permis de conclure que Sophie était en faute.
Mais la salariée confie ne jamais avoir pu lire le rapport d’enquête ni avant, ni après son licenciement.
Un dispositif censé protéger les salariés, mais qui tend davantage à leur nuire. L’ONG a reconnu des dysfonctions, et selon un document interne sur la qualité de vie au travail daté d’avril 2025, l’ONG semble amorcer une prise de conscience.
Médecins du Monde se fixe comme enjeu de « retrouver la confiance dans la neutralité du signalement d’alerte » en reconnaissant que « l’alerte abuse » est perçue comme « inefficaces » et « parfois risquée à activer ».
*L’ex-salariée a souhaité conserver son anonymat
À la suite de la publication de cet article, Médecins du Monde tient a apporter certaines précisions et rétablir des inexactitudes. A propos des procédures évoquées dans votre article, deux périodes sont à distinguer. La première porte sur les années 2019 à 2021, pendant laquelle la direction de notre Association a connu de graves tensions, et la seconde relève des années 2022 à 2024. La Gouvernance d’aujourd’hui n’est plus la même que pendant les années visées. Ce fait établi, il demeure que les 10 procédures actuellement en cours concernent des faits totalement distincts les uns des autres, et que moins de 5 concernent des faits de harcèlement. Pour rappel, plus de 3633 personnes accomplissent chaque jour notre mission humanitaire partout dans le monde. Concernant le cas, en 2023, de Jean-Baptiste M., ancien directeur de la communication, nous précisons qu’il n’a pas été licencié du fait de son alerte sur le dispositif interne abuse : il a été reproché à Jean-Baptiste M. l’enregistrement illicite de plusieurs collaborateurs de Médecins du Monde. A l’époque, l’association s’est appuyée sur les aveux, directs et répétés, formulés par écrit de Jean-Baptiste M.. Ce dernier avait d’ailleurs plusieurs fois reconnu l’aspect répréhensible de ses actes. Une procédure prud’homale est en cours sur ce sujet et chaque partie présentera ses éléments de preuves. Nous ne pouvons commenter plus avant un dossier en cours. Ce motif seul explique son licenciement. La loi protège le lanceur d’alerte contre toute forme de représailles pour avoir exercé son droit d’alerte, mais elle ne s’applique pas aux fautes graves qu’un salarié pourrait commettre et/ou admettre. L’alerte qu’il a faite a été traitée indépendamment des actes délictuels qu’il a reconnu avoir commis. Celle-ci a donné lieu à une enquête externe indépendante, laquelle a conclu à une absence de fondement de ses allégations de harcèlement. D’ailleurs, la majeure partie des propos par lesquels vous dites qu’il a été visé ne figurent pas dans la boucle What's App, au contraire du comportement rabaissant et insultant que lui a pu avoir envers d’autres membres de notre ONG dans ce même groupe. Concernant le cas de notre ancienne Présidente, Carine R. : nous tenons à réaffirmer que le traitement des alertes n’était pas assuré par le directeur général. En revanche, Carine R. a su le jour même qu’elle était visée par un signalement pour divers motifs. L’ancienne Présidente a alors formulé plusieurs demandes inusuelles dans le traitement de ces alertes, et toutes ont obtenu satisfaction puisqu'elle était Présidente. Par exemple, elle a elle-même désigné les membres du Conseil d'Administration chargés de suivre le traitement de l'alerte émise contre elle, mais aussi celle qu'elle avait émise contre le DG de l'époque. Par ailleurs, vous présentez une temporalité dans ce dossier sans mentionner que ce sujet est précisément un point de désaccord qui est aujourd’hui partie prenante du contentieux judiciaire qui oppose Carine R. à Médecins du Monde. De fait, nous ne pouvons donc pas la commenter. Malgré tout, quelle que soit cette temporalité, plusieurs personnes placées sous l’autorité de Carine R. ont fait part de difficultés graves dans leurs relations professionnelles avec elle. Il ne s’agit pas de personnes de même niveau hiérarchique, ni de membres de Médecins du Monde éloignés d’elle, ni même de personnes étant parties prenantes dans les instances dirigeantes, mais de collaborateurs, ses équipes. L’alerte qui a été faite à l’époque a été traitée par une enquête externe qui rapporte bien que ces personnes « semblent avoir souffert du climat institué par le comportement de Carine R. », validant donc cette accusation. Sa non-réélection ne semble pas liée à ce signalement : le scrutin pour la Présidence de l’association repose sur le collectif de l’Assemblée générale, lequel n’a pas renouvelé sa confiance à Carine R.. Si le signalement dont elle faisait l’objet a bien été rendu public – et nous le regrettons, – cela ne semble pas avoir joué un rôle crucial dans l’échec de Carine R. à être réélue. En effet le 11 juin 2022, les proches soutiens de Carine R., experts reconnus de leurs disciplines, ont adressé aux instances dirigeantes de l’association une lettre cosignée par eux pour expliquer le retrait de leurs soutiens à cette dernière. Ils évoquent, entre autres, le besoin « d’un climat relationnel propice et plus fédérateur pour la conduite des débats et décisions nécessaires dans la période actuelle », celui de « se recentrer sur nos engagements politiques et rétablir de la confiance entre nous », et la lettre se conclut sur ces mots : « une nouvelle gouvernance dans une nouvelle présidence s’impose pour apaiser et rétablir du débat et de la confiance ». Après cette élection, mais sans rapport avec elle, le Conseil d’Administration de l’époque avait pris la décision collégiale d’exclure Carine R. de toute activité de bénévolat au sein de l’association au titre de ses manquements aux règles de bonnes conduites, en ayant causé de la souffrance psychologique aux équipes, brisant ainsi la Charte du Bénévolat qu’elle s’était engagée à respecter. Nous tenons à préciser qu’un grand nombre d’alertes évoquées dans votre article sont des alertes de membres du CSE (CE chez Médecins du Monde), traitées conformément aux dispositions du code du travail et ne relèvent donc pas du dispositif « abuse ». L’association, dans un souci d’amélioration continue de ses pratiques internes, a renforcé son dispositif de gestion des alertes « abuse » avec la mise en oeuvre progressive, cette année, d’une nouvelle procédure, fruit d’un travail conjoint avec le CE et l’ensemble des Directions de l’ONG. |
C’est tellement dommage. Nous nous engageons dans ce monde par amour et par engagement mais si les DRH mêmes se donnent à des telles commentaires c’est très grave. Carine et tant d’autres personnes comme moi sont victimes de notre rigueur et de notre engagement à combattre l’injustice au sein des ONG.
J’espère que la vérité éclatera au grand jour.
Juger les gens sans leur écouter afin de connaître leur part de vérité…!
La lutte continue afin que les vrais coupables soient démasqués et que la vérité soit établie !
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