Martial Jardel : un médecin, un camping-car et des déserts médicaux

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Martial Jardel, jeune médecin diplômé en mars 2021 a décidé de se retrousser les manches et de partir à la découverte des déserts médicaux de France en camping-car. Rencontre avec un médecin qui sort des sentiers battus.

Martial Jardel : un médecin, un camping-car et des déserts médicaux

What's up Doc : Vous avez fait le tour de France des déserts médicaux comment vous est venue cette idée ?

Martial Jardel : J’ai voulu profiter de la liberté totale d’avoir fini mes études pour faire une expérience un peu inédite. Et profiter de l’avantage que l’on a dans notre métier de pouvoir exercer partout. Cela m’a permis de découvrir les territoires et la médecine pratiquée dans différentes régions. C’était gagnant-gagnant. Les médecins dans des lieux isolés ont pu prendre des congés et j’ai pu augmenter mon expérience. Tout cela avec une dimension d’aventure et de road trip hyper chouette à ce moment de ma vie.

« Ce qui fonctionne dans les déserts médicaux, c'est lorsque les médecins débordent de leur métier, qu'ils sont allés vers une forme d’entrepreneuriat, qu'ils ont anticipé... »

Que retirez-vous de cette expérience ?

Il y a autant de manière d’exercer la médecine générale que de médecins généralistes. Il y a plein de différences que ce soit dans le rapport sur la permanence des soins, l’organisation des journées, la présence ou non de secrétariat… La médecine générale a une dimension personnelle, chaque médecin sculpte son exercice à sa manière d’être.

Il n’y avait pas de recette magique, on ne pouvait pas se dire là où ils ont fait cela, ça marche. Donc si on fait cela partout, cela va marcher !  Ce sont à chaque fois des histoires humaines. Ce n’est pas structurel non plus. Nous pourrions penser que la où il y a des gens et de l’attractivité territoriale, il devrait y avoir des médecins et inversement dans des trous paumés pas de médecins. Or ce n’est pas toujours vrai.

Quel est la clef pour vous alors ?

La clef, à chaque fois, sont les médecins qui ont débordé de leur métier, qui sont allés vers une forme d’entrepreneuriat. Qui ont anticipé leur remplacement.

Certains ont mis en place des flux d’internes, de remplaçants, d’autres ont monté des structures pluridisciplinaires. Ces structures fonctionnent, il y a une synergie et une énergie entre les professionnels de santé.

C’est une histoire humaine et collective. C’est assez vague et en même temps assez beau.

Une rencontre particulièrement touchante ?

Quand j’étais en Côte d’Armor, j’ai sympathisé avec une patiente et son mari. Ils m’ont invité à dîner chez eux. Quelques mois plus tard, j’ai participé à l’émission « J’ai une idée pour la France ». À ce moment-là, ils m’ont demandé s’il y avait une patiente qui pouvait incarner les déserts médicaux et parler de son quotidien. J’ai tout de suite pensé à elle ! Nous nous sommes donc retrouvés sur le plateau de France 2 à Paris. C’est une femme extra et une rencontre assez touchante.

Une situation difficile à gérer ?

Quand j’étais en Alsace, j’ai suivi waze aveuglement et je me suis retrouvé sur une route extrêmement pentue avec mon camping-car chargé ras la gueule, 200 litres d’eau potable, ma moto... La petite route montait, montait. Je ne pouvais pas faire demi-tour. J’ai eu la peur de ma vie et au final je m’en suis sorti.

« Nous faisons un métier magnifique, nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à toutes les personnes qui renoncent à l’accès aux soins. »

Y a t-il un endroit, un cabinet où vous auriez eu envie de poser vos valises ?  

Je suis originaire du Limousin, de la Haute-Vienne, un territoire rural touché par les déserts médicaux. Paradoxalement le fait de voyager partout a renforcé mon attachement à cette région. Pourtant, je suis allé dans des endroits magnifiques, en Corse, dans le Cotentin… mais je n’étais pas chez moi. C’est assez nouveau car j’étais un peu blasé du Limousin que je connaissais par cœur et dans lequel je ne voyais plus d’attractivité. Ce voyage a été une quête de sens, où j’ai eu la certitude que ma place était dans mon village.

Pouvez me parler de votre association, médecins solidaires ?

L’association médecins solidaires est un collectif de médecins généralistes qui n’ont pas envie de rester passifs devant le drame des déserts médicaux et la catastrophe sanitaire que cela représente. Nous avons proposé une action concrète. Au lieu de s’installer dans les territoires ruraux de façon pérenne on peut donner une semaine par an.

Nous avons calculé que si 10% des médecins généralistes rejoignaient ce collectif on pourrait ouvrir 150 centres de santé solidaires sur le territoire.

C’est ré-enchanter la médecine générale, sortir de la position de Caliméro qui consiste à dire que l’on fait un métier trop difficile, pas assez bien payé. Moi je pense que c’est mortifère car ce n'est pas vrai du tout. Tout le monde pourrait être mieux payé. Nous faisons un métier magnifique, nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à toutes les personnes qui renoncent à l’accès aux soins. Nous avons un site internet www.médecinsolidaire.fr, Si des gens sont intéressés qu’ils n’hésitent pas à nous envoyer un mail !

Un projet pilote dans les tuyaux, pouvez-vous nous en dire plus ?  

Nous allons faire un premier centre expérimental le 1er novembre pour démarrer ce projet inédit : le temps partagé solidaire.

« Un chirurgien thoracique va être moins à l’aise pour aider son entourage au quotidien. Alors que tout le monde se retrouve dans les mains d’un généraliste. »

Pourquoi avoir choisi la médecine générale ?

Mon père était médecin généraliste, cela a sans doute beaucoup joué. J’avais beaucoup d’admiration pour ce que faisait mon papa. Quand je suis rentré dans les études de médecine j’avais la volonté de ne pas être impuissant devant la souffrance de l’autre. C’est dans cette médecine que je me retrouve le plus souvent utile. La spécialité m’aurait intéressé aussi mais par exemple un chirurgien thoracique va être moins à l’aise pour aider son entourage au quotidien. Alors que tout le monde se retrouve dans les mains d’un généraliste. Il y a un côté proche de la population qui m’a toujours beaucoup plu.

Vous animez des concours d’éloquence, les médecins sont-ils à l’aise à l’oral ?

Les médecins sont persuadés que c’est inutile, que la communication orale est à la marge de leur exercice. Contrairement aux avocats, ils ont la conviction que leur éloquence ne fera pas d’eux de bons médecins. Il y a presque un mépris des qualités relationnelles et communicationnelles. La médecine est très technico-centrée. Ils trouvent cela rigolo mais de loin. Pour moi, ils ont tort. L’art oratoire permet d’être plus éveillé à l’écoute. Pour ma part c’est utile dans ma pratique. Il faut prendre conscience de la force des mots et à quel point on peut changer les choses avec une seule phrase.

 

 

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