
Qu’est-ce qu’un médecin ressent quand il sauve une vie ? Au cours de leur carrière, certaines prises en charge, opérations ou traitements changent la vie de leurs patients… et un peu la leur aussi. Des médecins nous confient leurs petites et grandes victoires dans cet épisode best-of de Voix de Médecins.
Certaines « petites victoires » sont inespérées. « Au début j’étais très, très pessimiste », se souvient, Dr Lara Nokovitch, chirurgien maxillo-faciale, à propos d’une patiente enceinte atteinte d’un cancer. Une importante lésion cancéreuse dans la mandibule nécessitant intervention et radiothérapie, une grossesse que la patiente veut mener à terme, et un pronostic « cata »… Rien ne laissait entrevoir une issue heureuse. Mais finalement, la chirurgienne est parvenue à retirer toute la lésion, et, avec une radiothérapérie la moins irradiante possible, à sauver la vie de sa patiente qui a pu donner naissance à son bébé.
Mémoire, hasard et force de persuasion
Dans d’autres cas, la survie d’un malade tient (presque) à de la chance. C’est un cours de fin d’année dispensé par un radiologue, à quelques jours des ECN, qui a permis de sauver l’un des premiers patients de l'urgentiste Dr Laura Eouzan-Dahan. « On était 15 dans l'amphi ce jour-là parce que les gens révisaient et ne voulaient plus assister aux cours magistraux », se remémore-t-elle. C’est pourtant grâce à cette leçon qu’elle diagnostique, lors de sa première garde d’interne, une dissection de l’aorte à un « patient étiqueté colique néphrétique », ce qui lui a permis de s’en sortir. « J’ai même envoyé un mail au prof pour lui "Monsieur vous avez sauvé un patient !" ».
Mais pour pouvoir sauver des patients, encore faut-il les convaincre de se soigner. C’est une situation à laquelle Dr Loren Audia, généraliste, est souvent confrontée lorsqu’elle assure des remplacements dans l’est de la France. « Je me souviens de cette dame avec plein de problèmes de santé et de multiples comorbidités qui refusait d’aller à l’hôpital », raconte-t-elle. « J'ai finalement réussi à la convaincre d'y aller. Peut-être en expliquant les choses différemment, en ayant une autre approche et en n'étant pas forcément le médecin qu'elle voit d'habitude ».
Peurs de médecins
Une prise en charge optimale nécessite aussi pour les médecins de travailler sur leurs peurs et leurs blocages. Dr Julien Cabaton, anesthésiste à Lyon, se souvient de l’appréhension qu’il a ressentie lorsqu’un patient - qu’il avait failli perdre à cause d’une grave allergie à un anesthésiant - lui a demandé de l’endormir de nouveau. « J'avais les mains qui tremblaient et je lui ai demandé si on lui avait bien raconté ce qui était arrivé. Il m’a répondu : "Oui mais justement vous m'avez sauvé la vie donc cette fois-ci, c'est vous qui allez m'endormir à nouveau et personne d’autre" ».
Dr Marie Selvy, chirurgienne viscéraliste à Béziers, a, elle, dû dépasser sa peur d’opérer des enfants, liée à son histoire familiale, pour intervenir sur des appendicites. C’est en regardant un film sur « une princesse qui meurt d’une appendicite au XVIIème siècle » qu’elle a le déclic et se dit : « On sauve des vies en enlevant des appendicites, donc tu vas prendre sur toi et tu vas aller en enlever à des petits bouts de chou ! ».
Sauver des vies est rarement spectaculaire
Dans la plupart des cas, sauver une vie n’a rien de spectaculaire. Pour le Dr Reyhane Amode, dermatologue-vénéréologue à Paris, diagnostiquer et retirer des mélanomes fait partie du quotidien. « Régulièrement, on enlève des cancers mortels à un stade débutant et on sauve un peu des vies comme ça, tous les jours sans que le patient ni le médecin ne s’en rende compte », plaisante-t-il.
Même constat pour l’ophtalmologue Romain Jaillant, qui a récemment opéré un décollement de rétine chez un patient déjà aveugle de l’autre œil. « Il y a une certaine routine dans ce genre d'opérations qui fait que quelquefois, on s'habitue aux prises en charge et on le fait sans réfléchir. Mais pour ce patient, j'ai eu une petite prise de conscience. Je me suis dit : "Tiens, celui-là, il ne faut pas déconner" et je me suis posé deux fois la question de la chirurgie », explique le médecin.
« J'ai des très beaux souvenirs de patients qui peuvent revenir et dire effectivement qu'on leur a sauvé la vie », abonde la psychiatre Dr Odile Amiot, qui aide régulièrement des patients dépressifs à surmonter leur état et à réintégrer leur vie professionnelle et familiale.
Mais contrairement à de nombreux confrères, Dr Thomas Lebouvier, réanimateur à l’hôpital de Rennes, refuse d’admettre qu’il « sauve des vies ». « Cela me permet aussi de me dire que je ne suis pas responsable de leur mort », explique-t-il. « Je ne suis pas Dieu, donc je ne sauve pas les gens et je ne décide pas de leur mort. »