Le travail en équipe, le « côté physiopathologique » de la spécialité et le « fait de pouvoir prendre du temps pour creuser les dossiers » sont les raisons pour lesquelles le Dr Thomas Lebouvier est attiré par la réanimation dès l’externat. Anesthésiste-réanimateur depuis dix ans au CHU de Rennes, il est également formateur pour le programme d'enseignement des internes d'anesthésie-réanimation via la simulation en santé, créé en 2012. Partant du constat qu’il n’existe aucune formation pour développer les « compétences non-techniques » des médecins, il construit, avec un confrère, une maquette axée autour des soft skills pour la cinquième année. « C’est-à-dire votre capacité de communication avec les patients, leurs proches mais aussi au sein des équipes médicales », explique-t-il à la dizaine d’internes rassemblés ce jour-là au centre Bretagne Sud simulation santé (B3S) de Lorient, à la Clinique du Ter (Ploemeur, Morbihan).
Tout au long de la journée, les étudiants se retrouvent face à deux acteurs dans des situations concrètes auxquelles ils sont ou vont être régulièrement confrontés. Comment bien mener un entretien d’admission ? Comment annoncer un décès à une famille ? Comment gérer un conflit avec un chirurgien ou réagir face à un collègue en burn-out ? « Ce sont des choses qui ne sont pas innées sur lesquelles il y a de la littérature scientifique. Ces compétences ne doivent pas être uniquement des recettes qui se transmettent de père en fils ou de mère en fille », insiste Thomas Lebouvier, derrière les vitres sans teint de la salle où ont lieu les scènes de simulation.
La qualité de soin globale ne se limite pas aux compétences médicales
Les internes reçoivent chacun leur tour le scénario initial de la simulation. Ils « jouent » ensuite la scène dans une des salles du centre, aménagée comme la chambre d’un patient, un bloc opératoire ou encore un salon des familles. En régie, les techniciens enregistrent la simulation dans ses moindres détails, grâce à de nombreuses caméras et des micros. La scène est retransmise dans la pièce où se trouvent les autres participants. Des extraits sont ensuite découpés pour être étudiés lors d’un debriefing, pendant lequel les formateurs et les élèves échangent.
Les techniques d'optimisation du potentiel pour maitriser son stress, des méthodes pour formaliser les briefs et assurer un partage d’informations optimal entre soignants ou encore des moyens de résolution de conflits sont autant de méthodes scientifiques qui améliorent « la performance de soin global », laquelle ne se limite pas à la « connaissance médicale », selon Thomas Lebouvier. Le travail d’équipe, basé sur une bonne communication, permet d’améliorer « la satisfaction du patient, sa sécurité et son pronostic », souligne-t-il. Le réanimateur a d’ailleurs intégré les méthodes qu’il enseigne à sa pratique clinique. « Cette respiration relaxante, par exemple, je la pratique en entretien avec des familles quand la tension monte et que je suis en train de prendre le bouillon. Je peux le faire sans que les gens s'en rendent compte », expose-t-il à ses élèves.
Tout oublier sur sa planche de kitesurf
Ces formations modifient aussi la pratique de Thomas Lebouvier. « Je vois ça comme une marche en avant permanente. Après une simulation, quand les gens m’expliquent pourquoi ils ont fait les choses d’une certaine manière, cela m’interroge sur ma propre pratique et me fait progresser », affirme-t-il. Dans un service où « un peu moins de 20% des malades décèdent », le réanimateur est régulièrement confronté à la mort. Le premier décès dont il se souvient remonte à son externat, quand un jeune homme de son âge meurt d’une méningite suite à une otite, « malgré une prise en charge optimale ». « C’est un tournant dans mon parcours parce que je prends conscience des limites de la médecine et de la finitude de la vie », se souvient-il. Avec les années, son rapport à la mort a évolué. Aujourd’hui, Thomas Lebouvier affirme qu’il ne « sauve pas de patients ». « Comme ça, je ne suis pas non plus responsable de leur mort », complète-t-il.
« Quand des malades très graves s’en sortent, je ne les ai pas sauvés. J’ai réfléchi, travaillé en équipe et le résultat a été positif. Cela permet que, quand je travaille aussi bien mais que le malade décède, je n’en sois pas impacté personnellement. Je ne suis pas Dieu donc je ne sauve pas les gens et je ne décide pas de leur mort. »
Même la manière dont Thomas Lebouvier décompresse est « basée sur des études scientifiques », nous assure-t-il. « On a tous une activité ressource, c'est dans le développement physiologique de l'être humain. Pour moi c’est la mer ». Amateur de kitesurf, il sait que « tout s'arrête » quand il monte sur sa planche « même après avoir vécu quelque chose de difficile ».
Dix ans après le début de sa carrière, l’anesthésiste-réanimateur est toujours un passionné qui exerce ce métier « engageant physiquement et moralement » qu’il quittera sans remords le jour où il « ne lui plaira plus ». « Être médecin n'est pas du tout un sacerdoce pour moi. Je fais ça par choix et je veux toujours que cela reste un plaisir ! ».