« Il faut former les soignants qui ne comprennent pas les chemsexeurs, pour mieux les prendre en charge »

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Le chemsex, pratique consistant à consommer des produits psychotropes pour intensifier les actes sexuels, est un phénomène en essor encore mal maîtrisé par les professionnels de santé, ce qui complique prévention et prise en charge.

« Il faut former les soignants qui ne comprennent pas les chemsexeurs, pour mieux les prendre en charge »

Basée sur la contraction des termes anglais "chemicals" (produits chimiques) et "sex", cette pratique, essentiellement répandue dans les relations entre hommes (HSH), consiste à consommer des drogues de synthèse comme la 3MMC ou encore du GHB pour décupler le plaisir sexuel, l'excitation ou l'endurance.

Le chemsex, qui peut entraîner une fatigue intense, avec des effets de déprime, d'anxiété et de paranoïa chez ses adeptes les plus assidus, est apparu dans les années 2000 mais les professionnels constatent une hausse des prises en charge.

"Depuis cinq ans, il y a une explosion" et "les professionnels de santé ne sont pas formés et sensibilisés sur la prévention sexuelle et la réduction des risques liés à cette pratique car c'est un phénomène nouveau et méconnu", alerte Fred Bladou, chargé de mission pour l'association de lutte contre le VIH et les hépatites virales Aides.

Les mauvaises pratiques du chemsex constituent aujourd'hui "un problème de santé publique" et "il faut former ces professionnels" de manière à éviter tout "jugement moralisateur" qui pourrait éloigner un patient du parcours de santé, poursuit ce quinquagénaire qui travaille auprès des "chemsexeurs" depuis plus de dix ans.

Isabelle Massonnat-Modolo, psychologue à l'Hôpital Edouard-Herriot à Lyon et membre de COREVIH Lyon-Vallée du Rhône - qui organisait cette semaine une réunion de professionnels de la santé dédiée aux stratégies de prévention du chemsex - voudrait voir se créer un "grand réseau de personnels de santé multidisciplinaire", sensibilisé "aux différents niveaux de risques" pour accompagner "de manière collégiale" les pratiques.

"Le personnel médical doit être pluridisciplinaire", confirme Djamila Makhloufi, médecin généraliste spécialisée dans le VIH à l'Hôpital Edouard-Herriot et membre de COREVIH. "Les sexologues doivent être formés aux problématiques liées aux drogues et les addictologues aux problèmes d'hypersexualité", étaye-t-elle.

Parfois le personnel médical ne comprend pas le phénomène des chemsexeurs

Djamila Makhloufi appelle notamment les médecins généralistes à demander "automatiquement" aux patients qui viennent les voir pour prise de risque avec le VIH, qui souhaitent démarrer le traitement préventif de la PrEP ou qui "présentent des signes symptomatiques du chemsex", s'ils le pratiquent.

Pour éveiller les esprits, le COREVIH Lyon-Vallée du Rhône a réalisé plusieurs films illustrant le processus addictif et les risques, "Chemsex" en 2018 et "Plan perché" en 2021.

Ils doivent être diffusés dans les hôpitaux, les associations, les structures d'accueil, dans des lieux de convivialité et en ligne pour sensibiliser le grand public et former le personnel médical mais aussi la police et les pompiers pour qu'ils puissent mieux appréhender le phénomène et gérer les situations en cas d'urgence.

"Sur le terrain, on va délivrer des messages de prévention, mais on va aussi observer ce que les chemsexeurs consomment comme produits et on essaye de comprendre le vocabulaire qui gravite dans cette communauté pour ensuite tout retranscrire aux professionnels de santé", explique Steve Mudry, chargé de prévention ENIPSE (Équipe nationale d'intervention en prévention et santé).

Cette structure avait mis en place il y a trois ans une permanence d'accueil pour "chemsexeurs" auprès d'un CAARUD (Centre d'Accueil, d'Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues) à Lyon. Mais le personnel, "qui ne comprenait pas le phénomène", les "considérait comme des toxicomanes" et faisaient fuir ce public.

L'ENIPSE est donc en train de mettre en place avec les CAARUD "une démarche d'aller vers", par exemple dans les lieux festifs, pour sensibiliser "au plus près des lieux de consommation et de pratique de chemsex", et comprendre de quoi il s'agit réellement, poursuit M. Mudry.

L'association Aides, qui a pour sa part déjà mis en place un numéro d'urgence "chemsex", souhaite quant à elle former les associations LGBT "car le discours ne peut pas reposer que sur le milieu homosexuel", assure Fred Bladou d'Aides.

Avec AFP

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