« Je sauve bien plus de vies à la tête de ma start-up qu’un anesthésiste à l’hôpital » : Dr Nicolas Pagès, fondateur de Satelia, confie les secrets de sa réussite

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De l’internat à la tête de Satelia, leader français de la télésurveillance cardiaque, le Dr Nicolas Pagès partage les clés de sa réussite : penser business, prouver son efficacité, s’entourer et s’inscrire dans la durée.

« Je sauve bien plus de vies à la tête de ma start-up qu’un anesthésiste à l’hôpital » : Dr Nicolas Pagès, fondateur de Satelia, confie les secrets de sa réussite

 

What’s up Doc : Vous avez monté votre start-up lorsque vous étiez encore interne, comment avez-vous fait pour tout gérer ?

 

Nicolas Pagès : Satelia a un peu plus de 7 ans aujourd’hui. Pendant les quatre premières années d’existence de l’entreprise, j’étais encore interne. Pendant les deux premières années, j'ai pris une dispo de la fonction publique. Après cela, j'ai fini ma 10e et 11e d’anesthésie-réanimation. 

Pendant ces deux dernières années d’études de médecine, j'ai aussi réalisé un master à HEC qui se déroule sur 2 ans.

Je pense que le fait d'avoir un double diplôme (comme le font souvent les pharmaciens) en médecine et en management/gestion m’a été extrêmement utile. 

Dans mon cas, j’avais une demi-journée de formation par semaine. Donc, j’ai pu m’arranger pour y assister. Parfois, j’ai dû poser des jours de congés mais ça valait le coup. Pour nous, médecins, les compétences médicales sont presque évidentes. Nous avons passé une dizaine d’années à les étudier. Mais lorsqu’on lance une entreprise, on se retrouve perdu. Comment recruter ? Comment gérer des finances ? Seul et sans formation, c’est difficile de réussir à tout gérer efficacement. 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/nicolas-pages-met-en-orbite-satelia

Après, j’étais content lorsque j’ai fini ce master parce que c’est très prenant. Au-delà du temps de formation, il y a beaucoup de travail personnel que je réalisais en dehors des gardes, ou pendant mes jours off. Si je devais donner un conseil à des internes qui ont un projet entrepreneurial, attendez la fin de votre internat pour vous lancer dans un master ou dans la création de votre boîte. Vous aurez davantage de temps à consacrer à ce projet.

Je vois beaucoup de médecins ou internes dire : « Je monte une boîte, mais je le fais le soir, après le travail, le week-end. » Si tu veux vraiment bâtir quelque chose, tu ne peux pas y consacrer juste 20 heures par semaine. Monter une entreprise en santé, c’est un investissement personnel massif : au début, tu travailles 100 heures hebdomadaires. Si tu partages ta vie avec quelqu’un, il faut apprendre à composer, parce que personne ne crée une start-up en santé en bossant que 40 ou 50 heures : ça n’arrive jamais. Quand quelqu’un me dit : « J’ai mon job et je rajoute 40 heures à côté », je souris, car les futurs concurrents, eux, démarrent avec une équipe de dix personnes qui bosse 100 heures par semaine. 

 

« Si vous faites quelque chose qui aide les patients mais qui ne fait pas économiser d'argent à l’Assurance Maladie ou à l’État, ça ne marchera pas. »

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer Satelia à l’époque ?

 

N.P. : J’estime que la digitalisation dans le système de soins est indispensable. Et, si on suit les symptômes à l'extérieur de l'hôpital, cela améliore le pronostic de guérison et le pronostic vital. 

Dans le même temps, dans les différents stages que j’ai réalisés à l’hôpital, j’ai constaté que la digitalisation, le service informatique, tout est complétement dépassé. 

Il y a des gens qui restent dans des lits à l'hôpital pendant plusieurs jours ou semaines, alors qu’avec un système de télésurveillance, ils pourraient soit sortir plus tôt, soit éviter une ré-hospitalisation.

C’est dans cette optique qu’on a lancé un service de télésurveillance pour sécuriser le retour à domicile en cardiologie.

 

Vous aviez réalisé une interview pour What’s up Doc au début du projet en 2019, que s’est-il passé depuis ?

 

N.P. : Première chose, on a sorti une énorme étude scientifique réalisée sur 18 000 patients. Cette étude compare 5 000 patients suivi par Satelia à 13 000 patients non suivis par notre plateforme.

Nous avons constaté une réduction de la mortalité de 36 % dans le groupe télésurveillé par Satelia, et une réduction des hospitalisations en urgence de 17 %. C’est énorme.

Cette étude nous a permis d’acquérir une reconnaissance qui a conduit à un remboursement par la sécurité sociale pendant au moins cinq ans.

Satelia est aussi devenu leader en France. En 2019, nous suivions 900 à 1 000 patients. Aujourd’hui c’est dix fois plus. Cela a été permis parce que nous avons levé 10 millions d’euros en 2022, peu de médecins-entrepreneurs l’ont fait en France. Je pense que mon passage en école de commerce m’a apporté de la crédibilité. Les investisseurs se disent : « ce médecin a le tampon d’une grande école, on peut lui confier 10 M€ ». Résultat : environ 45 % de part de marché, deux fois plus que notre principal concurrent. 

 

« Je vois beaucoup de médecins ou internes dire : 'Je monte une boîte, mais je le fais le soir, après le travail, le week-end.' Si tu veux vraiment bâtir quelque chose, tu ne peux pas y consacrer juste 20 heures par semaine. »

 

Comment expliquez-vous que l’Assurance Maladie ait décidé de rembourser Satelia ?

 

N.P. : Si vous faites quelque chose qui aide les patients mais qui ne fait pas économiser d'argent à l’Assurance Maladie ou à l’État, ça ne marchera pas. La vraie question est : où fait-on gagner de l’argent au système, surtout avec les contraintes budgétaires actuelles. La meilleure manière d’être accéléré par l’État, c’est de pouvoir dire : « Mon outil coûte 100 € par mois, mais il en fait économiser 500 ».

Aujourd’hui, Satelia suit environ 11 000 patients qui ont en moyenne 74 ans, et qui ont une insuffisance cardiaque. Notre but n’est pas de prolonger leur espérance de vie mais d’améliorer leur qualité de vie. Nous cherchons surtout à ce que les malades vivent sans hospitalisations, dans le confort et la sérénité

 

Comment vous imaginez l’avenir de votre entreprise d’ici 5 ans ?

 

N.P. : Mon cap est clair : dans cinq ans, je veux que nous ne soyons plus seulement leader français, mais un leader mondial. Il n’y a pas d’autre leader européen et il existe des compétiteurs qu’aux États-Unis. Avec notre étude et, peut-être, de nouvelles levées de fonds, nous avons une chance de faire partie des deux ou trois leaders mondiaux de la télésurveillance qui émergeront d’ici la fin de la décennie. Et bien sûr nous continuons de développer notre service, par exemple nous menons des projets de détection de l’insuffisance cardiaque par le voix.

 

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/la-start-satelia-la-recherche-de-jeunes-medecins-digitaux-et-creatifs

 

À la création de Satelia, auriez-vous imaginé un tel succès ?

 

N.P. : Oui. Je pense qu'on est même qu'au début. La raison pour laquelle j'ai arrêté de pratiquer l'anesthésie réanimation, c'est pour devenir un leader dans le domaine. Pas pour être une PME régionale (avec tout le respect que j'ai pour les PME régionales). Mais ce n’était pas l'objectif. 

J’ai déjà affirmé à plusieurs reprises qu’en 2030, nous serions une licorne et je le pense toujours. (NDLR :  une licorne est une startup valorisée à plus d'un milliard de dollars, non cotée en bourse et non filiale d'un grand groupe.)

J’étais déjà convaincu que nous allions réussir. À l’époque, si j’ai décidé de m’intéresser à la cardiologie au lieu de l’anesthésie-réanimation, c’est parce qu’il n’y avait pas de marché dans ma spécialité. Or, il y en avait un en cardiologie.

 

« Si on compare en termes d'impact sur le système de soins, je suis plus utile à la tête de Satelia que sous une blouse. »

 

Vous n’exercez donc plus pour le moment, est-ce que c’est dans vos projets de retourner au bloc ?

 

N.P. : Non parce que mon but c'est d'avoir de l'impact. Quand je me suis engagé en médecine, je voulais aider à avoir une meilleure qualité de vie. Et aujourd’hui, en télésurveillant 10 000 patients, on a évité environ 1 000 décès.

Quel anesthésiste-réanimateur peut dire « j'ai sauvé 1000 vies cette année » ? Donc non, je ne ferai plus de médecine clinique. Mais, si on compare en termes d'impact sur le système de soins, je suis plus utile à la tête de Satelia que sous une blouse.
D’ici quelques années, la médecine va être majoritairement digitale. On se déplacera chez le praticien pour un vaccin, un examen ou une opération. C’est tout. Donc il y a de quoi faire. Et je pense que c’est ce que veulent les patients. 

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