Le débat, ancien, a été relancé la semaine dernière après qu'une députée macroniste et ex-représentante ordinale des kinésithérapeutes, Annaïg Le Meur, eut accusé un député RN de "propos inacceptables", sexuellement connotés.
Selon son récit, relaté d'abord par le Canard Enchaîné, elle était installée en terrasse aux abords du Palais-Bourbon, en marge des votes pour les postes stratégiques à l'Assemblée, et a demandé en plaisantant à Frank Giletti (RN) s'il voterait pour elle. Ce dernier aurait répondu : "à condition de me masser la…", en désignant son sexe, selon l'hebdomadaire satirique.
Frank Giletti, qui conteste tout "geste obscène", reconnait seulement avoir dit : "à condition que tu me masses", "clin d'oeil" selon lui à la profession de sa collègue, membre comme lui de l'équipe parlementaire de rugby.
"C'est peut-être ça le problème : n'associer les soins d'une kiné qu'au massage, avec toutes les connotations que ça draine !", a réagi sur le réseau X le secrétaire général de l'Ordre des kinésithérapeutes Jean-François Dumas.
Marre des sous-entendus scabreux relatifs au massage
Présidente de l'Ordre, Pascale Mathieu a déploré un "triste et trop banal incident". Elle a raconté avoir aussi subi, "comme nombre de consœurs" et "dès le début de ses études", diverses "remarques graveleuses et sous-entendus scabreux relatifs au massage".
Elle décrit comme un "calvaire" ses "premiers remplacements, en 1988" : "j'ai subi du harcèlement, notamment un patient dont j'ai dû faire cesser les soins. C'était systématiquement : “vous allez me faire du bien”, avec un regard égrillard".
Installée seule en cabinet peu après, elle reçoit "des tas d'appels téléphoniques déplacés" qui créent chez elle "malaise et inquiétude". "Ils demandaient : “vous faites les finitions ?”", rage-t-elle, évoquant aussi les "demandes insistantes de massages, souvent non-pertinents", certains arguant que "c'est écrit sur l'ordonnance".
Ce harcèlement s'arrête lorsque le nom de son époux se retrouve accolé au sien dans l'annuaire.
Certains patients demandent à être massés exclusivement par une femme
Aujourd'hui encore, "au téléphone, certains demandent d'être massés exclusivement par une femme. Quand on demande pourquoi, ils répondent : “elles ont les mains plus douces, sauront aller où je leur demande”", témoigne Caroline Sacchiero-Vicaigne, kinésithérapeute à Bordeaux.
A ses débuts en 2011, elle recevait des appels inappropriés "une ou deux fois par mois", dont des demandes implicites d'actes sexuels tarifés, "massages à domicile" ou "dernier rendez-vous du soir", raconte-t-elle.
"Depuis, on a appris à se protéger, dire non, identifier certains comportements louches", en favorisant la prise de rendez-vous en ligne, "un filtre efficace", ou après un "message sur répondeur", poursuit-elle.
Pour faire évoluer les mentalités, mais surtout pour "ne plus définir la profession par des actes", l'Ordre des kinésithérapeutes a voté l'an dernier une délibération en faveur d'un changement de dénomination, en abandonnant le terme masseur, souligne Pascale Mathieu.
Abandonner le terme de masseur pour kinésithérapeute ou physiothérapeute, à débattre
Lancée il y a plusieurs années, la réflexion "venait d'abord du fait que la profession évolue, se spécialise de plus en plus", le massage étant devenu "une technique parmi d'autres", indique Sébastien Guérard, président du syndicat FFMKR.
Créée en 1946, en regroupant "balnéothérapeutes", "masseurs" et praticiens de la "gymnastique orthopédique", la profession prend aujourd'hui en charge des pathologies diverses, des douleurs à différents troubles fonctionnels (respiration, équilibre...), jusqu'aux handicaps lourds.
La féminisation du métier - 51,4% des inscrits à l'Ordre sont des femmes, contre 42,2% en 2000 - et l'utilisation devenue plus courante, au grand dam des principales intéressées, du terme "masseuse-kinésithérapeute", "fait partie des arguments pour accélérer le changement", ajoute Sébastien Guérard.
Abandonner le terme "réducteur" de masseur "fait consensus",dans l'idée de conserver "kinésithérapeute", renchérit le président du syndicat Alizé, François Randazzo. Le terme plus international de physiothérapeute est aussi dans le débat.
Cela ne "mettra pas fin" aux abus mais "va dans le bon sens", juge-t-il, appelant aussi à "éduquer nos concitoyens".
En vingt ans, Yasmina Krawczyk, kinésithérapeute dans le Nord, n'a reçu "qu'une demande de massage sensuel". Mais, dit-elle, les soignantes subissent plus largement le "fantasme de la blouse blanche" et "le sexisme du quotidien".
Avec AFP