"C’était clairement une rupture du secret médical !"

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Tout ce mois d'août, WUD part à la rencontre de ces médecins qui ont poussé un coup de gueule pour faire avancer le système en 2019. Aujourd'hui, le Dr Gérald Kierzek, vent de bout en avril dernier contre l'utilisation du fichier SiVic afin de ficher les patients blessés lors des manifestations des gilets jaunes. 

"C’était clairement une rupture du secret médical !"

What's up Doc. Vous avez poussé un coup de gueule lorsque vous vous êtes rendu compte que l’on fichait nominativement les manifestants blessés qui avaient assisté aux manifestations des gilets jaunes...

 

Dr Gérald Kierzek. Oui tout à fait. Avez-vous consulté le rapport de l’ARS sur la question ? Ça me fait penser à tous les rapports que l’on sort actuellement, il y a quand même un gros problème d’indépendance : le rapport de l’ARS est en fait un rapport de la DGS qui part du postulat que la DGS a raison ! C’est un rapport fait par la DGS qui est juge et partie ! Mais il y a quand même des choses intéressantes dans le rapport. Quand on lit la synthèse, il est dit que la cellule interministérielle, entre autres, ne garantit pas une utilisation de façon absolue de l’outil SiVic, hors de ses finalités. C’est quand même emmerdant ! Le rapport dit clairement que c’est un fichier qui a été conçu pour les catastrophes et les attentats, mais qui peut être utilisé autrement, et que l’on ne peut pas garantir que ce sera fait en respect de la loi...

 

WUD. Quand vous avez poussé votre coup de gueule, les médecins fichaient déjà depuis plusieurs semaines les manifestants blessés pendant les manifestations des gilets jaunes ? 

 

G. K. Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Mediapart avait publié un article sur la question en janvier dernier. Dans cet article, Christophe Pruhomme de la CGT et de l’Amuf s’inquiétait de l’utilisation potentielle de cet outil. Et puis, localement, il y avait un certain nombre de médecins qui avaient décrété qu’ils ne l’utiliseraient pas. Mais ces prises de position n’avaient pas eu d’écho, et aucune consigne n’avait été donnée pour arrêter d’utiliser ce fichier. Donc le 13 avril, les mêmes consignes continuaient à être données, d’où mon coup de gueule ! 

 

WUD. Il a donc fallu que vous poussiez un coup de gueule pour que le fichier SiVic soit mis en suspicion…

 

G. K. Oui, clairement ! C' était un tweet du 13 avril. On me demande alors de remplir ce fichier Sivic et moi j’informe publiquement que l’on me demande de faire une rupture du secret médical via ce tweet ! Car c’était clairement une rupture du secret médical ! C’était quasiment un tweet réflexe ! Cela contrevenait tellement à mes valeurs que sont le secret médical, la confiance avec mes malades, que me demander cela était inadmissible, alors je fais un tweet réflexe ! 

 

WUD. On a entendu la direction de l’AP-HP se défausser, nier les faits pour finalement les reconnaitre. Vous de votre côté en interne, comment cela s’est-il passé ? 

 

G. K. Je n’ai eu aucun contact avec la direction de l’AP-HP. Après, avec les équipes - il y a à la fois des médecins et des paramédicaux qui m’ont contacté -, certains m’ont dit qu’ils le savaient, mais qu’il suffisait de ne pas remplir le SiVic. D’autres m’ont remercié parce que cela leur permettait de ne pas le remplir. D’autres ne voyaient pas ce qu’il y avait de choquant. Ça me choque ce genre de réflexions : c’est Simone de Beauvoir qui disait que ce qui est scandaleux dans le scandale, c’est que l’on s’y habitue. C’est cela qui est grave, car cela durait depuis plusieurs mois et quand on commence à faire des petites entorses au règlement, à la déontologie…

D’autres m’ont remercié parce que cela leur permettait de ne pas le remplir.

WUD. Si le rapport de l’ARS ne remet pas en cause l’utilisation du fichier Sivic, en revanche la tutelle en a stoppé l’usage… Paradoxe ? 

G. K. Oui, en effet, l’utilisation de Sivic a été arrêtée pour les événements urbains, encore que… Dans le rapport il est dit qu’il a été utilisé en dehors des clous, dans le 94 pour une intoxication au chlore… On voit bien que l’utilisation du fichier a continué à être dévoyée. Je pense qu’il est utile de dénombrer mais pas de dénommer les patients. Le rapport dit aussi que la DGS ne sait pas bien utiliser ce fichier SiVic, qu’ils sont incapables de dénombrer exactement… Selon le rapport, la fonctionnalité d’identification des patients ne devraient pas être déclenchée pour l’ensemble des utilisations de SiVic. L’ARS reconnait clairement que cette fonctionnalité n’aurait pas dû être utilisée dans le cas du dénombrement des gilets jaunes blessés. Par ailleurs, le rapport souligne que la signalétique de suivi en cas d’attentat ou de catastrophe ne parait pas totalement opérationnelle. Clairement ça ne marche pas !

 

WUD. De la même manière, l’AP-HP avait assuré que lorsque le fichier Sivic était utlisé à des fins sanitaires, ni le ministère de la Justice ni le ministère de l’intérieur n’en étaient informés et ne pouvaient avoir accès aux listes de blessés recensés. A-t-on pu le prouver ? 

 

G. K. Dans cette histoire, il y a eu beaucoup de mensonges de communicants et de la direction de l’AP-HP, des arguments faux. Et puis de toute manière si c’était un outil si sécurisé sans aucun problème, pourquoi le ministère de l’Interieur, et la police en particulier, refusent que les policiers qui sont vus aux urgences soient recensés dans ce fichier ? Ils ne veulent tout simplement pas qu’il y ait une liste de flics qui soit lue quelque part. On voit bien là que la sécurité n’est pas garantie, pas plus que la confidentialité. Quand on lit entre les lignes ce rapport, il y a un certain nombre de signes qui confirment le problème initial soulevé. Cinq jours après le papier du Canard Enchainé*, ils donnent l’instruction à l’AP-HP d’informer les victimes de l'utilisation de ce fichier les concernant, ce qui aurait dû être fait d’emblée. Entre les lignes, il y a donc eu un changement de doctrine très clair concernant l’utilisation de SiVic. 

 

WUD. Quel bilan tirez-vous de ce coup de gueule ? 

 

G. K. Bah moi je pense qu’il fallait le faire, moralement, je n’ai aucun regret. Encore une fois c’était un tweet réflexe. Il ne faut pas s’habituer au scandale et il est de notre devoir de médecin au service des malades de le dénoncer. Encore une fois, je n’ai qu’un seul code : c’est le code de déontologie, c’est notre boussole en médecine. Encore plus aujourd’hui, alors que nous sommes confronté à un certain nombre d’attaques, avec une administration de plus en plus pressante. Notre seul boussole c’est le code de déontologie. 

 

Notre seul boussole c’est le code de déontologie. 

WUD. Dernière question, vous avez diffusé sur Twitter la photo de votre barquette totalement vide à l'AP-HP. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une mesure de rétorsion de l’administration ? 

 

G. K. Non, non, non je pense que s’il y avait des mesures de rétorsion de la part de la direction générale de l’AP-HP, elles seraient d’une autre nature (rires) !! Cette barquette vide est un événement à la fois anecdotique mais aussi symptomatique du manque de considération que le système a pour ces soignants. Globalement c’est : marche ou crève ! Mais je pense qu’il ne faut pas se résigner. Comme dans le mouvement de protestation aux urgences, où les soignants ne se résignent plus. Ce sont des gens qui se relèvent et qui, de par leur sens de la déontologie et du devoir, disent : c’est plus possible !

* Le Canard enchainé a consacré deux articles des 17 et 24 avril 2019 à l'utilisation dévoyée du fichier SiVic pour le fichage des gilets jaunes blessés. 

 

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