Pôles et Virginie

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Virginie Efira est à l'affiche de "Madeleine Collins", film d'Antoine Barraud sorti le 22 décembre 2021, et de "En attendant Bojangles", film de Régis Roinsard sorti le 5 janvier 2022

Pôles et Virginie

Il y a un phénomène Virginie Efira. Devenue en quelques années une actrice incontournable du cinéma français, elle est restée cantonnée un temps dans les rôles de jeune femme joyeuse et solaire auxquels son physique et son naturel la prédestinaient, pas lisse pour autant, toujours un peu culottée. Mais c'est vraiment à partir de Sybil de Justine Triet, et sans interruption depuis, que les cinéastes l'appréhendent dans des rôles plus complexes, plus torturés, projetant sur son reflet sans aspérités une part d'ombre, une ambiguïté, allant parfois jusqu'aux douleurs insondables ou à la folie démesurée. Le phénomène se fait mystère. Il est en tout cas omniprésent. Alors que Madeleine Collins, le thriller hitchcockien, tendance Marnie, et élégant d'Antoine Barraud, clôturait une année 2021 où elle avait déjà été flamboyante dans Benedetta de Verhoeven, la revoilà en tête d'affiche de la première grosse sortie française de 2022. Si En attendant Bojangles, adaptation franchement ratée d'un roman à succès, a tout d'une erreur de parcours, elle réussit pourtant à sauver son rôle de femme fantasque jusqu'au délire du ridicule et de la fausseté dans lesquelles baigne le film. Mais comment fait-elle?

Dans Elle, Paul Verhoeven lui avait offert un micro-rôle dans lequel elle était parvenue, en quelques répliques, à insuffler une complexité tout sauf déchiffrable, à déjouer les évidences. Il faut croire que l'essai a été convaincant, car en lui offrant un rôle de nonne dont on n'arrivera jamais à savoir si elle est illuminée ou manipulatrice, despote ou émancipatrice, le néerlandais provocateur a définitivement permis de confirmer que la belge pouvait, et savait tout jouer. Dans Madeleine Collins et Bojangles, elle est dans le psychologique absolu. Deux femmes en souffrance qu'elle aborde de façon radicalement différente, comme les rôles l'exigent. La Judith de Madeleine Collins est toute en souffrance intérieure, qu'Efira excelle à faire éclore au gré d'un scénario inexorable et d'une mise en scène au cordeau. Alors qu'elle semble s'épanouir dans une double vie qu'elle contrôle admirablement, elle se fait rattraper par ses propres failles, victime consentante d'un piège qu'elle a participé à construire et dont on comprendra, à la toute fin, qu'il dépasse l'apparent drame sur lequel il repose. 

C'est une trajectoire inverse qu'elle tente d'insuffler à son personnage d'épouse et de mère rattrapée par sa propre folie, entre paraphrénie confabulante et bipolarité. Elle n'est pas aidée par un film qui choisit d'être dans une surenchère caricaturale d'emblée épuisante, qui empêche de donner du rythme et de l'allant à une histoire qui, au départ, est censée être un conte à hauteur d'enfant. Les dialogues ampoulés sonnent constamment faux, les illustrations poétiques sont creuses ou tournent à vide, et le réalisateur semble incapable de se confronter à la moindre émotion, l'évacuant pour mieux la reléguer en fin de film, cernant le drame final comme un vautour survole sa proie. C'est indécent, parce que l'esthétisation, la poétisation du malheur, ne supportent pas d'écart, sous peine de bavure. Et pourtant, au milieu de ce ratage, Virginie Efira, probablement parce qu'elle aime tous ses personnages, parce qu'elle est au service de son rôle et de son film comme un artisan encore amoureux de son métier, réussit à préserver une vérité, surtout dans sa dimension tragique, à cette femme désaxée. Si la réalisation hypomane l'empêche la plupart du temps d'exprimer autre chose que du grotesque, elle profite de la moindre respiration pour nous rappeler que cette femme n'est pas qu'une caricature du DSM comme on n'ose plus en faire. Dans sa dernière scène, on croirait presque voir Simone Signoret. Une bonne actrice ne peut probablement pas sauver un mauvais film, mais quand elle se sauve du désastre, c'est déjà presque un miracle...

 

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