Martyr à la carabine - Critique de « Eddington », d’Ari Aster

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Dans la petite ville d'Eddington, Nouveau-Mexique, la décision du maire de faire appliquer à la lettre les règles de protection face à la pandémie de COVID-19 se heurte à la position plus libertarienne du shérif, qui rappelle qu'il ne peut se référer à aucun texte de loi contraignant. Leur affrontement, qui prend un tournant électoral, va fortement réveiller les nombreuses lignes de fracture sur lesquelles repose cette micro-société, métaphore d'un pays divisé.

Martyr à la carabine - Critique de « Eddington », d’Ari Aster

Pedro Pascal et Joaquin Phoenix dans Eddington, d’Ari Aster

© DR.

Cinéaste de l'ampleur et de la mise en tension, Ari Aster récidive dans l'épopée cauchemardesque en s'appuyant habilement sur les codes et les mythes du cinéma de genre américain, entre western et thriller.

D'Ari Aster, on avait adoré Midsommar, immersion horrifique dans une secte scandinave dont la tension et le malaise montaient crescendo sans jamais nous laisser reprendre notre souffle une seconde. Est-ce un canevas qui s'applique à l'ensemble de son encore petite filmographie ? 

Toujours est-il qu'avec cette histoire de pieds nickelés du complotisme s'enfonçant peu à peu dans la violence et la destruction, il applique la même recette scénaristique et la même réalisation millimétrée jouant constamment sur les perceptions et le vertige avec un mimétisme dont la rigueur frise l'obsession. Le héros est à nouveau un pauvre ère acculé par des circonstances extérieures qui lui échappent constamment, qu'il tente de les contrôler ou de s'en protéger, mais qui, parce qu'il les a en parties provoquées par une faiblesse morale passagère ou constitutive, va voir cet apparent fatum évoluer en un véritable châtiment divin. 

L'installation, lente et implacable, est mâtinée d'une ironie grinçante, jusqu'à une brutale rupture de ton, par le truchement d'une péripétie faisant basculer sans transition le récit de la suggestion vers un déchaînement d'atrocités bien concrètes.

Ari Aster jubile à nouveau dans son rôle de martyrologue révélateur des travers et dérives de notre époque

Si Aster jubile à nouveau dans son rôle de martyrologue révélateur des travers et dérives de notre époque, il le fait cette fois-ci non pas en détournant la classique série B mais en s'attaquant aux monuments et à la mythologie de l'Amérique profonde, dans une volonté d'exposer les racines du Mal. 

Si la première moitié du film se plaît à décrire une société rendue grotesque par son obsession pour les fake news et le complotisme en dressant une galerie de portraits proche de la satire, tendance ploucs mi-narcissiques mi-psychopathes des frères Coen ou de Three Billboards, Aster parvient à ne pas tomber totalement dans le piège de la caricature, réussissant à nous faire percevoir sous certains archétypes barrés ou loufoques une souffrance authentique - on pense au personnage d'Emma Stone, épouse malheureuse s'étant construite sur un antécédent traumatique de façade servant à escamoter une réalité moins avouable et condamnée à succomber aux gourous les plus grossiers. 

Mais c'est dans un final à rallonge, maîtrisé de bout en bout, aussi direct et allusif que le prologue, lui aussi étiré à l'extrême, était d'une descriptivité circonlocutoire, qu'Aster déploie sa maestria, mettant la méticulosité de sa mise en scène dans les pas des plus grands réalisateurs de westerns, et abandonnant au bon moment le pastiche, le distinguant ainsi d'un geste à la Tarantino.

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Aster vise clairement plus grand, on pourrait d'ailleurs le lui reprocher car le résultat n'est pas toujours convaincant, plus encombré et moins limpide que Midsommar. Il n'empêche : en concentrant en un même lieu et sur quelques heures l'ensemble des contradictions, des peurs, des haines et des fantasmes issus du passé traumatique d'un pays construit sur un mensonge originel et décuplés par les nouvelles technologies, en conduisant cette charge nihiliste aussi loin que possible, il réalise un geste puissant, aussi littéraire que cinématographique, les plaçant lui et son anti-héros -  incarné par un Joaquin Phoenix fait d'un seul bloc qu’aucune circonstance ne semble réussir à faire véritablement évoluer - dans la lignée de la Conjuration des Imbéciles ou du Bûcher des Vanités

Mais aussi, de par sa noirceur misanthrope décrivant une société asservie par les réseaux sociaux, dans la famille d'un certain Quentin Dupieux, cousin français ayant curieusement commis L'Accident de piano presque au même moment...

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