
© Les Films Pelleas
Jafar Panahi nous offre un film déroutant, non pas tant par son contenu que parce que, échappant aux canons du « grand » œuvre de cinéma , il est rattrapé par l'audace de son geste et le génie de sa réalisation.
Il faut voir Un simple accident. Pas parce qu'il bouleversera votre vision du cinéma ou vous confrontera à une passionnante dialectique. Certaines parties du film, disons la bonne vingtaine de minutes à son mitan, sont même à la limite du ventre mou, la faute à des rebondissements poussifs et des dialogues mobiliers qui, dans n'importe quelle autre circonstance, auraient été suspectes de balourdise ou de paresse. C'est pourtant tout autant un signe de modestie que d'urgence que cette simplicité-ci, presque naïve, de re-faire du cinéma. Car il s'agit bien d'un film oscillant constamment entre plaisir de la libération et conscience du sursis, le film d'un homme qui, à peine sorti d'un emprisonnement inique, a souhaité tourner dans la plus grande clandestinité une histoire à montrer à son pays, un combat contre le désespoir, un engagement pour l'avenir. La grandeur tient peut-être plus dans le vertige de la question universelle qu'il pose que dans le traitement de la réponse qu'il apporte - quoique, le film se ressaisit et nous saisit à sa toute fin.
« Surtout, Panahi est un immense cinéaste »
Panahi traite ainsi de façon faussement simple la lancinante question du devenir, une fois les dictatures renversées, de leurs responsables et de leurs complices. La justice se rend ainsi avec deux obstacles constants sur sa route : la vérité et la vengeance. L'une comme l'autre étant condamnées à demeurer partielles, leur support commun - la mémoire - peut ainsi rapidement devenir un leurre. Et ce malgré l'apparente exactitude que constitue l'empreinte traumatique. Panahi a l'humilité de ne pas sombrer dans la démonstration, et même si sa fable métaphysique a ses limites, il offre en tout cas un regard neuf et jamais compassé sur victimes et bourreaux, terriblement ordinaires, à rebours de l'imagerie issue de nos propres traumas historiques - collaboration, épuration et jugements militaires, pour n'en citer que quelques uns - alors que lui-même est encore en plein dedans.
Larmes de guerre - Critique de « Muganga, celui qui soigne », de Marie-Hélène Roux
Surtout, Panahi est un immense cinéaste. L'on pourrait se contenter des trois premières scènes et de la séquence finale, toutes magistrales, la forme - un suspense noir hitchcockien où tout est dans le découpage et le cadrage - servant le fond - comme dans le traitement de l'information traumatique, ce qui est hors champ se répercute sur ce qui est montré.