
Sandrine Kiberlain et Adèle Exarchopoulos dans L'accident de piano de Quentin Dupieux.
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Un Dupieux malaisant, moins barré et plus tenu que d’habitude, qui tire à boulets rouges sur une époque qui le mérite bien.
La parenté du dernier Dupieux - parfois plus d’un film par an, chapeau l’artiste - avec le monument multi-récompensé de Justine Triet nous a paru évidente. Comme si le geste et l’ambition de la réalisatrice avaient soufflé un vent nouveau sur le cinéma français, aux retombées certes souvent indirectes, mais qui témoignerait d’une envie retrouvée, d’un goût renouvelé pour le récit, le grand. Un cinéma qui ne craindrait pas de côtoyer le littéraire, et que l’on retrouve ici, presque curieusement, chez un cinéaste certes ne déroulant souvent qu’une seule idée, mais qui s’était un peu perdu ces derniers temps dans des dispositifs sketchesques diversement réussis. Est-ce parce qu’il installe une atmosphère mystérieuse dans un décor identique - mais aussi pollué et poisseux que la neige des Alpes filmée par Triet était aveuglément blanche - ou bien parce qu’il filme un destin dont tout l’intérêt réside dans le fait de savoir s’il va se briser ou se relever ? Toujours est-il que ce Dupieux-ci, malgré les réserves qu’on lui trouve, ne manque pas de tenue, et que le récit ne dévie jamais de la ligne macabre, et de plus en plus sombre, qu’il s’est fixée.
Adèle Exarchopoulos une nouvelle fois dans un rôle qui flirte avec le très mauvais goût
Au début, on a franchement peur. Avec une Adèle Exarchopoulos une nouvelle fois affublée, tel un costume mal taillé, d’un rôle qui flirte de très près avec le mauvais goût frelaté d’un humour facile sur les « gogols », on craint le recyclage facile, et récurrent, des grosses ficelles du réal’ qui se fait trop confiance et ne bosse pas assez. Il faut cependant accepter, a minima, que cette fois Dupieux a décidé d’aller loin dans l’abjection. Et que cet humour validiste et déplacé ne constitue rien d’autre que la version nauséeuse de l’époque, celle dans laquelle se faire passer pour plus con que ceux dont on pense qu’ils le sont rapporte souvent plus gros que d’aider son prochain ou tenter de changer le système. On accepte alors un peu plus la bêtise crasse, la méchanceté duplice et l’affranchissement de toute frontière morale qui contaminent le film, aboutissant à une parodie de slasher movie, façon grand-guignol.
L'élégante roublardise d'une Sandrine Kiberlain étonnamment à l'aise
Il faut saluer le dispositif très géométrique qui trouve son paroxysme dans les scènes de confrontation entre la youtubeuse faussement balourde mais vraiment perverse, jusqu’à la psychose, et la journaliste à l’élégante roublardise interprétée par une Sandrine Kiberlain étonnamment à l’aise - étonnamment parce que même en sachant pertinemment combien elle l’est, sa fraîcheur face à la caméra étonne toujours. Cette Sherlock Holmes en gabardine apporte un véritable supplément au film, superposant ainsi deux niveaux de lecture qui communiquent à merveille, l’imbécilité lourdingue de Vidéo Gag alternant avec une ingéniosité littéraire rappelant Amélie Nothomb et son Hygiène de l’assassin, dans laquelle une journaliste s’attaquait à un sommet d’intelligence prix Nobel de littérature. Question d’époque : au savoir exponentiel a succédé le néant sidéral. Mais avec autant de perversité.