"Benedetta" envoie la sauce

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Critique de "Benedetta" de Paul Verhoeven (sortie le 9 juillet 2021)

"Benedetta" envoie la sauce

Toscane, XVIIe siècle. Une jeune nonne convertie à l'amour charnel - et saphique - suite à ses visions christiques sème une joyeuse et païenne pagaille dans son couvent quand elle commence à effectuer des miracles, et alors que la peste bubonique ravage Florence. Paul Verhoeven met le paquet dans cette satire du pouvoir et de la religion où chacun en prend pour son grade. 

Paul Verhoeven n'a jamais fait dans la nuance, et ce n'est pas à plus de 80 ans qu'il faut espérer une conversion de la part de ce vieux briscard. Et pourtant, sa période française, entamée avec succès grâce au dérangeant Elle, semble l'amener à plus de subtilité dans l'exploration des travers de ses semblables et de la violence qui, c'est son leitmotiv, cimente et conduit nos sociétés. Encore plus à l'aise avec la langue française, il signe un film très écrit, un récit très bien conduit dont les niveaux de lecture, loin de se contredire, s'additionnent voire s'amplifient au regard de notre récente actualité. Les grands auteurs sont visionnaires : tourné il y a quatre ans, le film offre une vertigineuse mise en abîme alors que l'épidémie de croyances irrationnelles et de fake news manipulatrices est aussi galopante que la Covid, et que la peste d'alors.

Le fim est ainsi l'exploration d'une possible supercherie, le doute étant toujours de mise chez Verhoeven, mais aussi une description minutieuse de la façon dont le pouvoir, quelle que soit l'apparence qu'il revêt, corrompt ceux qui y goûtent et rend malades ceux qu'il soumet. Ainsi Benedetta, jeune fille espiègle qui par une pensée magique propre à la mégalomanie infantile va se croire capable de protéger sa famille du malheur tout en se riant des puissants, est-elle enfermée chez les Théatines parce que sa mère l'a vouée au Christ. Sa fertile imagination, cloîtrée et étouffée tout comme ses désirs, va la conduire à un détonant cocktail psychiatrique, pas clairement tranché entre ce que les psychanalystes appelleront une bonne vieille névrose et un trouble de personnalité narcissique, selon que l'on juge qu'elle évolue vers une foi ardente ou un goût prononcé pour le mensonge. Verhoeven prend d'ailleurs soin de ne pas trancher entre les deux, comme pour nous dire que distinguer l'un de l'autre est finalement accessoire: il réunit ces deux "symptômes" comme les conséquences d"une même cause, sociétale évidemment, et qui l'intéresse hautement plus. Toutes ces femmes, qu'il décrit admirablement, luttent chacune pour sa survie dans un milieu qui les nie en permanence. C'est son propos de toujours : l'Homme en vient aux pires abjections non parce qu'il est amoral mais parce qu'il est contraint de s'adapter, de survivre dans un système qui s'auto-entretient. Les moyens pour y parvenir, souvent dissimulés, importent peu. Ainsi, au sein de ce jeu de massacre où se mêlent la rigueur et le baroque, le sacré et le ridicule, une finesse langagière et un goût pour l'érotico-kitsch un peu vulgaire et inutilement provoc' - mais c'est sa patte - seule la cruauté semble émerger. Verhoeven tire sur tout ce qui bouge et ne trouve d'excuse à personne, ramenant chacun à l'individualisme le plus primaire, sans pour autant le condamner. En cela, il signe un grand film moraliste.

Ces figures ambiguës, qui ne sont jamais figées dans un seul aspect, excepté le personnage du nonce que Lambert Wilson ne parvient pas à sauver du ridicule, sont servies par des compositions remarquables. Rampling, bien sûr, est impériale en mère abbesse finaude et peu à peu gangrenée par le doute et les scrupules; Efira, dans le rôle-titre et malgré le handicap certain que constitue le décalage entre son âge et celui de son personnage, parvient à entretenir le mystère de Benedetta, la seule certitude à son égard étant qu'elle aussi, comme tous les autres, a décidé de ne pas se plier au destin auquel il eût été normal qu'elle reste cantonnée. Dans un rôle a priori secondaire, c'est la jeune Louise Chevillotte qui impressionne le plus. Epuré au départ, puis de plus en plus enfiévré, son jeu est d'une pureté telle que l'on eût presque désiré qu'elle endosse le rôle-titre. Mais peut-être fallait-il un tempérament plus charnel, plus terrien, pour conférer à Benedetta ce qui fait d'elle une mystique atypique - c'est bien ce qui lui est reproché : non pas l'épouse de Dieu, mais plutôt un nouvel Adam, chassé du jardin d'Eden aux côtés de son Eve. C'est ce que la fin suggère : l'histoire d'une religion est un éternel recommencement, un recyclage d'idoles et de mythes. Les faiseurs de miracles et les illuminés marseillais étant finalement les héritiers de cette nonne toscane qui, quelles qu'aient été ses motivations, a su détourner une crise majeure et utiliser les faiblesses humaines pour asseoir son crédit.

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