À portraits tirés - Critique de « A Normal Family », de Jin-Ho Hur

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Deux frères que tout oppose se retrouvent impliqués professionnellement dans une affaire criminelle médiatique : l’un, avocat sans scrupule, défend le chauffard qui a écrasé la fillette que l’autre, chirurgien idéaliste, tente de sauver. Mais c’est une autre affaire qui vient les percuter dans leur rôle de père et dynamiter l’équilibre familial de façade…

À portraits tirés - Critique de « A Normal Family », de Jin-Ho Hur

A normal family de Jin-Ho Hur.

© DR.

Un portrait de famille virant au jeu de massacre à la réalisation parfaitement léchée, que le souci de symétrie rend rapidement prévisible et que les fulgurances psychopathiques ne sauvent pas de l’ennui. 

A normal family est le genre de film qui a pour ambition de mener son spectateur d’un point A à un point B de façon totalement programmée, tout en lui donnant l’illusion de la surprise. Or, si l’aspect choquant, voire répulsif, peut en constituer l’essence, l’étonnement reste toujours le principal ingrédient. Au sortir de la projection, le canevas semblait si classique, l’histoire si familière, qu’il a fallu vérifier s’il s’agissait là d’une adaptation ou d’un remake. Bingo ! Le film est tiré d’un roman néerlandais à succès qui en est, en moins de quinze ans, à sa quatrième adaptation cinématographique. C’est dire à quel point le thème résonne, en ces temps surmédiatisés de fractures entre générations et de violence adolescente.

« Une énième auscultation des rapports entre parents et progéniture lorsque celle-ci les désempare voire leur échappe »

Le film se veut effectivement une énième auscultation des rapports entre parents et progéniture lorsque celle-ci les désempare voire leur échappe. Comme dans la série Adolescence, la violence extrême vient symboliser ce décalage, à deux différences près : la souffrance de l’incompréhension, ainsi que les ressorts de l’acte, sont totalement occultés au profit d’un autre enjeu, un dilemme moral d’autant plus appuyé qu’il se double d’une schématique antinomie familiale et conflictuelle ; l’autre distinction étant que la relative énigme que constitue un acte de violence apparemment gratuite est annulée par une cruauté crasse transmise en héritage, la rancoeur dévorante des aînés se transsubstantiant en bêtise froide. Une pierre de plus dans le jardin de la nuance, une ixième représentation de l’adolescence déshumanisée. 

Le film dit probablement quelque chose de la Corée du Sud

Dans l’une des scènes du film, l’épouse, charitable à n’en plus pouvoir, se fait littéralement cracher à la gueule : c’est un peu ce que l’on ressent régulièrement durant la projection, à l’image de la jouissance malsaine qui nous est imposée dès le prologue. A Normal Family est ainsi une œuvre qui n’explore rien, ou ne nous permet rien d’explorer, tant elle nous soumet à sa logique psychopathique du passage à l’acte et nous épargne tout hors champ ou tout non dit, nécessaires à la réflexion. Les personnages sont voués à demeurer des archétypes au service d’une fable et d’une œuvre à l’agencement parfait, d’une géométrie et d’une symétrie que rien ne viendra déformer, toute évolution psychique échappant dès lors à un processus qui leur serait propre, et donc à la compréhension. 

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Le film dit probablement quelque chose de la Corée du Sud, tant son ironie cruelle fait écho à des succès phénoménaux issus de ce pays, en premier lieu Parasite, auquel l’on pense -trop - souvent. Une société fracturée dont l’obsessionnalité de façade ne permet pas de compenser les frustrations, conduisant à une haine qui ne semble pouvoir être représentée que par le truchement de débordements pulsionnels. Avec une telle facilité à grossir le trait qu’il faut vraiment l’exubérance et le génie d’un Bong Jon Hoo pour rendre la recette, éculée, un minimum digeste. 

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