
Saura Lightfoot Leon dans Crasse de Luna Carmoon.
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Un film choc inutilement choquant mais porté par une vision unique.
Luna Carmoon est une néo-cinéaste sans compromis, qui filme de façon méthodique, faussement foutraque car vertigineusement logique, du moins fait-elle éclore et se réunir une double logique. Celle, délirante, de cette mère qui a décidé de se protéger du monde extérieur en recyclant ses symboles les plus matériels, de l'objet au déchet, au gré de ses fantasmagories infantiles. Mais aussi celle de sa fille, qui n'a d'autre choix que la complicité mais qui, à l'orée de l'âge adulte et confrontée à sa perte irrémédiable, va tenter de conserver son souvenir par le même comportement d'accumulation.
Deux aspects du syndrome de Diogène sont explorés dans ce film
Sont ainsi explorés deux aspects du syndrome de Diogène : la matérialisation d'une désorganisation délirante comme la conséquence d'une impossibilité de séparation. La vraisemblance psychiatrique s'arrête là, tout l'art de la réalisatrice étant d'inventer un langage qui lui est propre, et qui fait se côtoyer deux univers, presque deux sensorialités, radicalement différentes, du moins en apparence : la douceur et la magie du conte de fées sont ainsi régulièrement interrompues par la fulgurance répulsive du dégoût, l'envahissement, principalement olfactif, de la saleté - d'où ce curieux titre français en forme de repoussoir, là où la version originale mettait l'accent sur une clinique difficilement traduisible, celle de la thésaurisation, de l'accumulation compulsive.
Après une longue installation assez remarquable, secousse sismique dont se fera la réplique un épilogue terriblement émouvant, Carmoon décide d'aller au bout d'un trip pour le coup terriblement gênant, surligné inutilement par une appétence pour le sordide. Parce que tout doit faire sens, rien ne nous sera épargné. Cette plongée en apnée au plus profond du deuil de Maria, fracassée par sa rencontre avec un homme accablé par son propre parcours traumatique, créature issue d'une pièce de Tennesse Williams et égarée dans un film de Ken Loach, s'étire en longueur jusqu'à l'insoutenable, à peine oxygénée par quelques réminiscences maternelles. Voici donc un film qui n'est jamais aussi bon que quand il abolit les frontières et brouille les lignes, beaucoup moins convaincant quand il les épaissit à gros traits.