La répartition des tâches, un mirage dans le désert médical ?

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Comment faire face à lurgence et libérer du temps médical ? En coordonnant davantage les parcours de soins et pour cela en sappuyant sur les autres professionnels de santé, y compris les petits nouveaux. 

La répartition des tâches, un mirage dans le désert médical ?

Répartition ou délégation de tâches, le sujet qui fâche ? Ou comment trouver des solutions en évitant l’impasse coercitive de la régulation de l’installation… En expérimentant l’accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes et orthophonistes ? En élargissant l’accès à la dispensation sous protocole, qui permet au pharmacien de délivrer au patient un ou des médicaments à prescription médicale obligatoire sans disposer d’ordonnance ? Plusieurs mesures sont à l’essai dans le cadre de protocoles formalisés de coopération. Longtemps freinés par une lourdeur administrative décourageante, ils ont cependant été simplifiés par la loi de modernisation du système de santé de juillet 2019. Chaque année, sont développés 4 à 6 protocoles nationaux répondant à des enjeux de santé publique et d’autre part, des protocoles locaux. Cette formule plus souple permet par exemple à des sages-femmes de bénéficier d’une délégation pour le traitement de chlamydia, avec une simple déclaration à l’ARS. 

Assistants médicaux

La solution d’embaucher des « aides-soignants de ville » prioritairement dans les territoires sous-dotés, en levant la condition d’exercice regroupée pour le versement de l’aide au recrutement par la CNAM1 est invoquée par nombre d’observateurs. Une étude réalisée par BVA pour l’Assurance maladie (mars 2021) décrit une aide précieuse aux médecins, notamment grâce à l’accomplissement de tâches administratives « cannibalisant » le temps médical (pour reprendre la formule du CNOM) : accueil des patients, gestion des contacts téléphoniques, mise à jour du dossier du patient, facturation, protocoles, scan des résultats des bilans. Selon l’étude BVA, les assistants médicaux perçoivent leurs missions comme « stimulantes et attrayantes, du fait de la proximité des patients ».

La CNAM évalue que les assistants médicaux ont permis d’augmenter de 1 077 156 patients la file active (patients vus au moins une fois dans l’année en hospitalisation ou en consultation). Au 1er février 2022, 2 809 contrats d’assistants médicaux (pour 1 486 ETP) ont été signés avec les caisses d’assurance maladie par 2 150 généralistes et 560 spécialistes, dont 1 406 contrats signés en zone sous-dense. Un résultat en deçà des objectifs fixés par le Gouvernement à 4 000 assistants en 2022. Un récent rapport sénatorial2, rédigé par la commission de l'Aménagement du territoire, portant sur la lutte contre les déserts médicaux, propose de rehausser cet objectif d’embauche « à 10 000 dici 2024, pour surmonter le cap difficile du point le plus bas en termes de médecins en exercice, en assouplissant notamment la prise en charge de leur financement dans les zones sous-denses, là où leur effet levier sur la patientèle est le plus fort »

Manque de lisibilité de la pratique avancée 

D’autres solutions structurelles ne montrent pas encore les résultats escomptés. Disposant de compétences élargies, les infirmiers en pratique avancée (IPA) suivant des patients pour leur(s) pathologie(s) chronique(s), peuvent, dans le cadre d’un protocole d’expérimentation, prescrire des examens complémentaires, demander des actes de suivi et de prévention, mais également renouveler ou adapter, si nécessaire, certaines prescriptions médicales. Sans compter, notent les sénateurs du rapport précité2, qu’il s’agit d’un facteur d’attractivité dans les territoires désertés : « Une équipe de professionnels paramédicaux impliqués est le gage de bonnes conditions dinstallation pour les jeunes médecins, qui portent une attention croissante à la qualité de l’écosystème de santé et des soins. » 

Ils sont un peu moins de 1 000 IPA diplômés en mars 2022 (plus 1 425 professionnels en formation dans 27 universités). La mention Pathologies chroniques stabilisées, Prévention et Pathologies courantes en soins primaires rassemble plus de la moitié des effectifs, suivie des mentions Oncologie-Hématologie, Néphrologie-Dialyse et Dialyse… loin devant les mentions plus récentes, Psychiatrie et Urgences. Lorsque 5 000 IPA seront formés (c’était d’ailleurs un objectif de fin de mandature présidentielle), ils ne représenteront que 0,7 % de l’ensemble des 764 000 infirmiers. 

Ils sont un peu moins de 1 000 IPA diplômés en mars 2022 (+1 425 professionnels en formation dans 27 universités)

En janvier 2022 est paru un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les dispositifs de partage de compétences entre professionnels et protocoles de coopération. Concernant la pratique avancée, il décrit un « essor contrarié à la fois par la dépendance au médecin qu'elle instaure pour l'accès à la patientèle et un modèle économique inadapté et sous-dimensionné »

L’une des principales préconisations de la mission est de différencier deux types de pratiques avancées : celle des IPA « spécialisés » et celle d’une autre profession intermédiaire, les IPA « praticiens », professionnels de santé en soins primaires et en population générale sur des pathologies courantes et bénignes… Ceci, bien entendu, à condition de réunir quelques conditions toujours déficientes : un « cadre législatif cohérent » qui permette l'accès direct à la population et la primo-prescription pour les IPA4 et la révision du modèle économique ainsi que du financement, en libéral (sur le mode conventionnel) comme à l'hôpital. L'IGAS propose en outre d'expertiser l'accès direct à certains professionnels non médicaux dont les IPA, en coordination avec les médecins traitants.

Cependant, le rapport n’estime pas opportun de créer, dans le contexte actuel, une nouvelle profession de santé ex nihilo puisque les IPA constituent déjà une profession intermédiaire et considérée comme telle, même si « leur positionnement dans le Code de la santé publique ne leur reconnaît pas pour l'instant ce statut ». 

Sources :

1 L’avenant 7 à la convention médicale du 20 juin 2019 précise que l’aide au recrutement d’un assistant médical concerne les médecins exerçant (sauf exception) de manière regroupée, dans un cabinet d’au moins 2 médecins ou exerçant déjà de manière coordonnée.

2 https://s3-eu-west-1.amazonaws.com/static.hospimedia.fr/documents/220225/7831/r21-5891.pdf?1649424702

3 Une nouvelle prime spéciale pour les IPA de la fonction publique hospitalière est versée à partir du 1er avril 2022.

4 Correction des textes qui interdisent aujourd'hui aux patients de consulter à leur initiative une IPA, et aux IPA de primo-prescrire à leurs patients certains traitements ou prestations, suppression de la mention de patients confiés qui « compromet le développement de l'exercice et contrevient au libre choix du patient ».

 

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