Dans les Pyrénées-Atlantiques, « plus personne ne cherche à tirer la couverture à soi »

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Présence médicale 64, dispositif innovant lancé dans les Pyrénées-Atlantiques, rapproche élus, médecins ou encore services de l’Etat et Assurance maladie, main dans la main pour trouver des solutions aux besoins médicaux des territoires. Une recette qui porte ses fruits.

 

Dans les Pyrénées-Atlantiques, « plus personne ne cherche à tirer la couverture à soi »

On pourrait y voir le début d’une blague. « C’est l’histoire d’un conseiller départemental, d’un élu local, d’un médecin généraliste rural, d’un élu du conseil de l’Ordre, d’un interne, d’un représentant de syndicat médical, d’un responsable de l’ARS ou encore de l’Assurance maladie, qui se réunissent ensemble autour d’une table pour trouver une solution ». Sauf que ce n’est pas une plaisanterie, mais le tour de force réussi par le dispositif Présence médicale 64 dans les Pyrénées Atlantiques, un peu comme une mêlée iconoclaste mais unie et qui pousse dans la même direction, celle de l’intérêt général et de la santé publique.

Depuis une poignée d’années, ce collectif porté à la fois par le Conseil départemental et l’Agence régionale de santé (ARS) fait dialoguer tout ce petit monde avec un objectif clair : identifier des solutions pour redynamiser le tissu médical territorial. Et là où Présence médicale 64 se distingue, c’est dans l’esprit collectif insufflé. Agilité, écoute et respect de toutes les compétences sont ici valorisés et concourent à ce que l’on appelle « l'intelligence territoriale », l'art de créer en réseau des réponses plus efficaces pour préserver et développer l’offre de soin de médecine générale dans les territoires.

Après deux ans d'existence, Présence médicale 64 a déjà facilité 15 nouvelles installations de généralistes dans le département et ce n'est qu'un début. Une vingtaine d'accompagnements sont en cours et 25 autres médecins candidats à l'installation sont identifiés. « Quand ils voient revenir des médecins, des habitants me disent qu'ils vont enfin pouvoir vieillir sereinement, c’est le meilleur des remerciements que nous puissions recevoir », confie Thierry Carrère, vice-président du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques et maire de Buros. C'est lui, avec son homologue Charles Pelanne, qui a été chargé en 2017 de lancer une première expérimentation à Garlin, territoire alors en grande souffrance.

 

Dépasser la logique concurrentielle entre territoires

Avant cette année-là, les Pyrénées-Atlantiques recourraient aux méthodes habituelles : cabinets de recrutement et incitations financières, « mais cela ne faisait que créer une surenchère dans les conditions d'accueil », se souvient Charles Pelanne. « Nous avons senti qu'il était plus opportun de mettre en place une stratégie à l’échelle départementale pour casser la logique concurrentielle entre territoires ». Briser la concurrence impliquait forcément de réunir tous les acteurs impliqués à toutes les échelles. Pour y parvenir, le Conseil départemental a trouvé dans l’ARS un partenaire.

« Il y a eu un alignement des planètes ! » affirme Maritxu Blanzaco, la directrice de la délégation départementale 64 de l'Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine. « Nous nous sommes mis à réfléchir à une nouvelle manière de travailler ensemble. Le Département n'avait pas la compétence santé qui est la nôtre, mais avait ce lien privilégié aux élus et au territoire, une force de frappe que nous n'avions pas ». En peu de temps, un binôme est né.

« Tout le monde a commencé à échanger, à partager ses compétences en faisant fi des chasses gardées, chacun se demandant comment il pouvait aider et travailler avec les autres pour faire bénéficier tous les territoires », raconte Thierry Carrère. Le « laboratoire à ciel ouvert » réalisé sur le territoire de Garlin, qui fut une réussite, n’a fait que confirmer la justesse de l’intuition initiale. Dès que tout le monde tire dans le sens de l’intérêt général, les « guerres de chapelle » et les méfiances passées s’estompent et de nouvelles solutions apparaissent.

« Quand j'ai vu arriver Présence médicale 64 avec sa dimension relationnelle et humaine, j'ai senti que cela pouvait être le levier qui ferait la différence », reconnaît ainsi Sabine Thomas, la responsable du service en charge des relations avec les professionnels de santé à la CPAM de Pau, directement impliquée dans le dispositif. « Dès qu'un souhait d'installation est connu, toutes les questions des médecins concernant l’Assurance maladie m'arrivent désormais directement et je peux apporter des réponses personnalisées », explique-t-elle. L’humain est au centre, dans le collectif comme dans la réponse apportée aux internes et jeunes médecins.

 

Un réseau actif fondé sur l’échange et la confiance

Ce n’est donc pas un hasard si le Conseil départemental de l'ordre des médecins (CDOM) a fait partie des tout premiers acteurs impliqués. Il met aujourd’hui son réseau et ses connaissances au profit de cette mosaïque collective. « Réussir à réunir autour de la table autant de personnes différentes et d’élus a quelque chose de formidable », se réjouit le Dr Jean-François Grange, premier vice-président régional du Conseil de l'Ordre des Médecins de Nouvelle-Aquitaine, référent de l'instance au sein de Présence médicale 64. « Tout le monde a fini par comprendre l'intérêt de travailler ensemble. La situation de Garlin a servi de révélateur brutal ».

Au cœur du dispositif, les médecins jouent un rôle moteur. Ici, personne ne décide pour eux. On les écoute, on les consulte. Grâce à l'ARS aussi, les hôpitaux publics sont de la partie, un atout pour améliorer les relations ville-hôpital. Localement, l’alliance a permis par exemple de renforcer les convergences en médecine gériatrique. « Alors que nous avions déployé des consultations gériatriques avancées, Présence médicale 64 a été un vrai facilitateur en créant du liant et des espaces d'échange. Ils ont su créer la confiance », analyse Julien Mouret, adjoint au directeur du Centre hospitalier (CH) de Pau. Grâce à cette mobilisation collective, des médecins généralistes locaux ont accepté de mutualiser leur secrétariat médical et des élus ont mis gratuitement à disposition des lieux de consultation.

 

« Chacun oublie sa casquette pour se mettre au service du collectif »

La philosophie de Présence médicale 64, cette « intelligence territoriale », est défendue et diffusée par l’équipe opérationnelle du dispositif, un noyau dur actif et engagé, hébergé au sein du Conseil départemental. « Mais attention, tous les acteurs impliqués forment Présence médicale et peuvent s’approprier la marque, tient à rappeler Nadine Hiale, la directrice du dispositif. Notre rôle à nous est de renforcer l'interconnaissance par la rencontre, l'échange et la compréhension mutuelle ».

Que tout le monde puisse parler le même langage a été (et est) l’un des grands défis de cette expérience humaine. Qu’un maire de village, un médecin maître de stage, un technicien à l'ARS ou un expert à la CPAM se comprennent ne coule pas de source. Pour cultiver la vision collective, Présence médicale 64 s'appuie donc sur des comités de pilotage réguliers, où l’on discute des solutions concrètes à mettre en place dans les territoires. « Bien sûr une phase d'adaptation a été nécessaire », admet Maritxu Blanzaco, à l’ARS. « Ce qui marche dans ce dispositif, c'est que chacun respecte l'autre dans une relation sincère. Et les médecins ont pu découvrir un nouveau visage de l'ARS, qui est aussi là pour les accompagner ». Il a aussi fallu apprendre aux élus et médecins à s’écouter. « Un travail de fond et d'échanges a été mené, notamment pour casser l'image galvaudée qui pouvait nous coller à la peau », explique Thierry Carrère, le vice-président du Conseil départemental. Pour Sabine Thomas (CPAM), un réseau de partenaires est né. « Il est étonnant de voir comment chacun oublie sa casquette pour se mettre au service du collectif, raconte-t-elle. Plus personne ne cherche à tirer la couverture à soi ».

Réponse concrète au besoin de décentralisation des politiques publiques de santé, Présence médicale 64 est appelée à durer. Fini la logique verticale et les cloisonnements, « on est ici en plein dans la différenciation. L’Etat est à l’écoute des spécificités et dynamiques territoriales et de toutes les compétences », constate Thierry Carrère. « C'est une nouvelle politique de santé qui voit le jour. »

 

Un article écrit avec le soutien et l’éclairage des membres du collectif Présence médicale 64.

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