What’s up Doc : Alors on sort d’une semaine de grève entre Noël et Jour de l’An et vous rempilez pour une nouvelle semaine, donc rien n’a avancé la semaine dernière ?
Noëlle Cariclet : Oui on sort d’une semaine de grève dure, ce qui n’est absolument pas dans l’ADN des médecins, mais malheureusement on l’a faite quand même !
Notre ministre de la Santé, qui pourtant avait reçu en Visio les membres de Médecins pour demain et avait entendu nos propositions pour l’amélioration de l’accès aux soins, ne nous a jamais donné de réponse. On pensait qu’on allait se revoir, en rediscuter, mais ça n’est jamais venu. Donc, la grève a commencé la semaine dernière. Et là la grogne est montée d’un cran, car non seulement François Braun ne nous répond pas, mais il a condamné fermement la grève. Alors il s’est repris un ou deux jours après, en disant que sa porte restait ouverte… De là nous avons publié un communiqué de presse jeudi, pour lui répondre, en disant que nous n’étions pas responsables du calendrier de la négociation conventionnelle, qu’il avait nos propositions en main, et que bien sûr notre porte à nous était ouverte, puisque nous attendions un retour de sa part.
Et toujours aucune réponse de sa part, donc le vendredi nous avons fait une demande à la Première ministre, Elisabeth Borne pour être reçus. Notre ministre de tutelle ne répondait pas, il fallait qu’on trouve une solution pour cette sortie de grève. On ne pouvait pas rester comme ça, sans réponse de notre gouvernement. Là aussi pas de réponse.
Et le vendredi soir, on nous a dit, que nous serions reçus par François Braun au décours de la manifestation du 5 janvier.
« On ne pouvait pas rester comme ça, sans réponse de notre gouvernement »
Mais ils nous avaient déjà reçus à l’issue de la manifestation du 1er décembre, il était descendu dans la rue, il était venu nous parler, mais ce n’est pas ce que l’on demande. Nous on demande à être entendus sur nos propositions d’accès aux soins. Parce que cette grève ce n’est pas qu’une revendication tarifaire, c’est également d’être écoutés dans nos propositions d’accès aux soins.
Il y a eu le CNR (Conseil National de Refondation) dont nous aurons probablement la restitution vendredi par Emmanuel Macron. Et c’était une bonne idée le CNR, entendre à la fois les responsables territoriaux, municipaux, les associations d’usagers, les professionnels de Santé, médicaux, paramédicaux… Certains médecins y ont participé, et l’URPS a fait un communiqué le 13 décembre en alertant : on est très étonnés de la méthode employée, car les médecins qui étaient sur place et qui ont proposé des choses pour l’accès aux soins, ont réalisé que dans la retranscription du CNR, leurs propositions n’apparaissent pas. Donc c’est inquiétant pour les décisions qui vont être prise dans le cadre de la réforme du système de Santé.
« Si on pouvait répertorier les patients en ALD sans médecin traitant et les répartir à tous les généralises, ça ne ferait que 12 patients de plus par médecin »
Du coup quelles sont vos autres propositions à part la consultation à 50€ que tout le monde a retenu ?
NC. La consultation à 50€ c’est pour les médecins généralistes, il y a aussi la demande d’une revalorisation des consultations des médecins spécialistes qui sont paupérisés (pédiatrie, psychiatrie, endocrinologie… toutes celles qui sont dans le bas du tableau des BNC de la Carmf). Ça c’est une mesure incitative pour motiver les jeunes à s’installer. Mais on a aussi des réponses à donner sur l’accès aux soins notamment pour ces personnes qui sont sans médecin traitant. On propose quelque chose d’assez facile à déclencher : une sorte de géolocalisation des 6 millions de personnes sans médecin traitant, via Ameli, les répertorier, et parmi eux, répartir les 600 000 patients jugés prioritaires puisqu’en ALD, entre chaque généraliste. Ce qui ferait sur le territoire, 12 patients de plus par médecin. Mais encore faudrait-il savoir où sont ces patients ?
Autre idée, pour les déserts médicaux, on a proposé des consultations avancées. Des généralistes ou des spécialistes soient incités financièrement à aller donner du temps une fois par semaine, par mois, dans un désert médical non loin de son lieu d’exercice habituel, pour aller prêter main forte. Ça c’est incitatif, et pas coercitif, et ça peut aider la population pour l’accès aux soins. Il y a toutes une liste de toutes nos propositions sur notre site Médecins pour demain.
Et sur la mobilisation de la semaine dernière il y a quand même bataille de chiffre entre les 70% que vous annoncez et les 5 à 10% qu’annonce l’Assurance maladie.
NC. Nous c’est la première fois qu’on fait grève, et avant on voyait toujours ça dans les grèves des autres, les différences entre selon la police et selon les organisateurs. Il y a toujours une différence entre les chiffres de chaque côté. Mais je n’estime pas que c’est le chiffre qui est important. Même sans grève, même avant notre grève les urgences étaient débordées, saturées, ce qui est quand même gravissime pour notre population. Alors qu’on soit 2% ou 80% de médecins libéraux réellement grévistes, de toutes les façons, le système s’effondre. Certains étaient grévistes et ont quand même aidé, en traitant des urgences ou en ouvrant un jour sur deux. D’autres n'étaient pas déclarés grévistes et l’ont été quand même. C’est compliqué, nous on a compté avec nos sondages. Ce qu’on a vu aussi, c’est qu’il était compliqué de trouver un médecin pendant la grève, mais de toutes les façons, c’est compliqué tout court de trouver un médecin sur le territoire vu l’effondrement du système de Santé.
« Si ce n’était qu’une question de rémunération, le déconventionnement serait une réponse »
Il circule sur les RS une lettre d’une généraliste qui répond à Patrick Pelloux qui trouvait « la revendication d’un doublement de salaire assez conséquente. Si les hospitaliers ou les cheminots demandaient ça, tout le monde serait vent debout ».
NC. En tant que porte-parole de Médecins pour demain, je ne rentrerai pas dans une guerre avec Patrick Pelloux. Ses propos, je ne les ai même pas vraiment écoutés. Le problème est plus profond que ça, il concerne à la fois les hospitaliers, dont les urgentistes et à la fois les médecins libéraux. Et surtout il concerne tous les patients. C’est vraiment pour eux que nous sommes en train de se battre. Si ce n’était qu’une question de rémunération, le déconventionnement serait une réponse, les médecins feraient les tarifs qu’ils veulent et feraient tourner leur cabinet sans avoir rien à demander à personne. Si on fait grève, c’est parce qu’on veut préserver nos patients, préserver les soins accessibles pour tous.
Donc là, deuxième semaine de grève, rendez-vous avec François Braun jeudi, prise de parole d’Emmanuel Macron vendredi, et si vous n’obtenez pas ce que vous réclamez, on continue une troisième semaine ?
NC. Non, déjà nous ne sommes pas syndicalistes, nous sommes un collectif. Ce n’est pas parce que c’est une grève, que c’est une grève comme les autres. L’idée c’était de faire entendre à l’opinion publique et aux pouvoirs publics, les difficultés que nous avions et les propositions que nous avions pour améliorer les choses, dans le sens où nous n’avions jamais été entendus malgré le CNR. Après nous continuerons à faire pression sur ces négociations conventionnelles mais pas avec une grève dure. On va faire des mouvements, on va faire des actions, on est en train d’y réfléchir… Mais malheureusement on sait bien qu’on ne parlera plus de nous, malgré nos actions, à partir de la semaine prochaine, et ce sera bien dommage. J’espère que nous aurons éveillé les consciences.
« Notre grève n’est pas qu’une revendication tarifaire, c’est également d’être écoutés dans nos propositions d’accès aux soins »
Du coup, votre mobilisation et sa visibilité dans les médias, est déjà une réussite pour votre collectif, car en général les grèves de médecins n’impriment pas tellement dans l’opinion ?
NC. Honnêtement, c’est vraiment le plus important pour nous, parce que ça concerne vraiment tout le monde. On parle quand même de la Santé qui est le fondement même de notre société. Une Santé qui va mal, ce sont des gens qui vont mal, des gens qui ne travaillent pas, des entreprises qui vont mal etc. On a vraiment envie de faire comprendre à la population, que nous nous battons pour eux, de manière à pouvoir faire fonctionner le système de santé correctement. C’est le message principal. Ça aurait été dommage de rester sur : « Les médecins veulent doubler le tarif de consultation ». Ce n’est pas ça. Les médecins souhaitent augmenter le tarif conventionné via ces négociations conventionnelles, pour que le patient ne soit pas impacté, et surtout que le médecin puisse réinvestir cet argent pour offrir des soins de qualité et pouvoir se faire aider dans ses démarches administratives.
Sauf que l’augmentation n’est pas corrélée à l’embauche d’un assistant médical ou autre ?
NC. Il n’y a pas d’obligation, mais tous autant que nous sommes, si nous avions un peu plus de revenu, pour pouvoir embaucher, croyez-moi qu’on en embaucherait parce qu’on a vraiment besoin de cette aide au quotidien dans notre activité.
Dans notre métier on a affaire à la souffrance tant physique que morale des gens toute la journée, on l’a choisi, c’est pour ça qu’on est là, mais cette souffrance est aggravée par l’effondrement du système de santé. Les patients sont frustrés, ils ont raison. Ils sont en colère, ils ont raison. Et nous c’est un peu une double peine, parce qu’on sait ce qu’on pourrait apporter, malheureusement on essaie de faire de notre mieux et on est frustrés de ne pas pouvoir l’offrir aux patients. Ça crée une tension qui rend les conditions encore plus difficiles tant professionnelles qu’humaines.