Mon beau-papa est un gangster

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Critique de "L'Innocent", de Louis Garrel (sortie le 12 octobre 2022)

Mon beau-papa est un gangster

Abel est inquiet: sa mère, qui anime des ateliers théâtre en prison, s'est à nouveau entichée d'un des détenus dont elle s'occupe. Alors, quand ce dernier lui offre un beau magasin en plein coeur du Vieux Lyon à peine la bague passée au doigt, il décide d'en avoir le coeur net et commence à le suivre. Succès surprise de l'automne, cet "Innocent" est-il à la hauteur de son écho ou bien coupable de publicité mensongère. Nous aussi, on a voulu en avoir le coeur net...

Avec L'Innocent, Louis Garrel semble avant tout avoir tenu à rendre hommage. A sa mère tout d'abord, qui elle aussi a animé des ateliers en prison et a réalisé un film à partir de son expérience. A la comédie à la française également, celle qui a probablement bercé son enfance, et dont il restitue admirablement le côté populaire notamment par une capacité exceptionnelle à capter l'âme d'un lieu - Lyon est ainsi filmée alternativement en tant que lieu fantasmé baignant dans son jus de vieille ville endormie qu'elle arborait jusqu'à la fin des années 80 et en tant que zone périphérique intemporelle, entre aquariums attrape-touristes et restaurants de parking. 

Mais sans talent, l'hommage se limiterait au pastiche. Et Garrel se hisse, avec ce film qui sait rester modeste, au niveau de ses maîtres. Le scénario et les dialogues qu'il a troussés avec l'écrivain de polars Tanguy Viel sont tout autant solides que légers, et abordent des thèmes plus profonds qu'il n'y paraît. La construction est exemplaire, le film reposant sur un assemblage de scènes qui pour la plupart sont destinées à se répéter, se répondre sous une forme différente, intervertissant les personnages du quatuor drôlatique que Garrel a su constituer. Ainsi une scène de répétition théâtrale fera écho à une précédente, tout comme des éléments du début seront repris à la fin. 

A travers cette architecture filmique, c'est bien évidemment le thème de la transmission qu'il s'agit d'illustrer. Qu'elle soit consciente ou non, volontaire ou pas, elle est décrite de façon particulièrement touchante. Ce fils renfermé et inquiet qui s'est construit en opposition à sa mère fantasque et gentiment border, et qu'un veuvage précoce a d'autant plus fragilisé, va ainsi s'ouvrir à lui-même par le media de la propre passion de sa mère, le théâtre, mais aussi en acceptant sa part de transgression - de ses principes comme de la Loi.

Un mot sur les acteurs. Garrel s'autoparodie juste comme il faut et n'a jamais été aussi séduisant qu'en se dirigeant lui-même. Roschdy Zem campe un solide braqueur (presque) repenti et rappelle les grandes figures du cinoche bavard et voyou, celui d'Audiard en tête. Anouk Grinberg, en mère amoureuse et midinette, capte la lumière et chante à nos oreilles grâce à son phrasé gouailleur. Mais c'est surtout Noémie Merlant qui impressionne, embrassant son personnage avec une ferveur et une modernité terriblement enthousiasmantes, et rentrant peu à peu dans le film dont elle épouse aussitôt le rythme pour finir par le lui insuffler. Mention spéciale aux rôles secondaires, comédiens moins connus voire non professionnels, qui, par leur jeu simple et "plus vrai que nature", font plus que sublimer les nombreuses scènes d'anthologie qui émaillent ce film dont le succès surprise rappelle, en des temps tout aussi moroses, celui qu'Antoinette dans les Cévennes avait connu au moment du déconfinement.

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