« Médecin hématologue, j’ai décidé de devenir aussi médecin expert visiteur à la HAS, pour certifier les hôpitaux, voici mon expérience »

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Aude Quentin Gondard est une médecin dynamique, impliquée et positive. Après 12 ans en hématologie à l’hôpital Jean Jaurès, elle a décidé de rajouter à sa pratique un rôle de médecin expert visiteur de la HAS. En quoi ça consiste ? Comment devenir expert visiteur ? Qu’est-ce que ça ajoute à son propre exercice ? Nous lui avons posé toutes ces questions.

« Médecin hématologue, j’ai décidé de devenir aussi médecin expert visiteur à la HAS, pour certifier les hôpitaux, voici mon expérience »

© Collection personelle  

What’s up Doc : D’abord, racontez-moi votre parcours de médecin ?

Aude Quentin Gondard : J’ai un parcours pas si classique. Au départ, je suis médecin généraliste et j’ai donc commencé ma carrière par des remplacements dans des cabinets à Paris, un peu pour fuir l’hôpital. Je n’en pouvais plus des gardes, de cette ambiance, du chef qui crie sur l’interne, de l’interne qui crie sur l’externe… Mais au bout de 3 ans, j’en ai eu un peu marre de devoir m’adapter aux médecins que je remplaçais, au niveau des horaires, de la patientèle, de la pratique médicale. Alors que, je sortais de la fac et que j’avais toutes mes reco en tête, je trouvais des post-it sur mon bureau pour me conseiller des prescriptions de la part des médecins que je remplaçais. Je voulais être autonome et à la fois je me sentais bien seule dans mon cabinet. Car très vite j’ai aussi réalisé que finalement l’hôpital me manquait. Travailler en équipe, il n’y a que ça de vrai.

Donc j’hésitais entre visser ma plaque ou un poste en salariat. Et par une amie, j’ai trouvé un poste de médecin en hématologie à l’hôpital Jean Jaurès, donc de la cancérologie. Et moi, la cancéro a toujours été ma vocation de médecin. Quand j’étais petite je voulais guérir le cancer, j’avais d’ailleurs fait ma thèse en oncologie à Saint Antoine.

En revanche, c’était un poste en SSR (soins de suite de réadaptation) et je ne connaissais pas, je pensais que ce serait peut-être ennuyeux. Donc je me suis dit que j’allais faire ça 3 ans, le temps que mes enfants grandissent. Et ça a été une grande surprise, car j’ai trouvé une équipe formidable, des patients super, j’ai adoré le service, la spécialité, j’ai trouvé ça passionnant. Je soigne des patients en cours de chimio, en intercure de chimio, des leucémies, des lymphomes, des patients avec des pronostics engagés, et il faut être là pour eux. Ils font des allers retours entre les hôpitaux de l’AP-HP ou des hôpitaux périphériques, et ils viennent chez nous ensuite. On soigne les patients dans leur globalité. Après quelques années, en 2017, j’ai passé une qualification en hématologie, pour la reconnaissance de mon travail. Résultat, ça fait 12 ans que je suis dans ce service dont 6 ans en tant que cheffe de service.

 

Et pourquoi, cette année, avoir décidé de devenir médecin expert visiteur pour la HAS ?

A.Q.G. :Déjà, mon hôpital a été certifié en 2016, donc une équipe d’experts visiteurs est venue nous contrôler. Et les années précédentes, on avait dû se préparer. La directrice adjointe m’avait nommée en 2015 coordonnatrice de la gestion des risques associés au soin, un poste important pour la qualité, mais qui n’est pas tellement connu. On doit faire partie de toutes les instances, et on doit être au courant de tous les évènements indésirables de l’hôpital. On est aux côtés du directeur pour ce qui concerne la sécurité des soins, et à la cellule de gestion des risques. Au départ, on ne m’avait pas vraiment demandé mon avis, mais finalement, ça m’a beaucoup plu. Sur la fiche de poste, c’est censé être 10% de mon temps de travail.

 

Et donc vous y avez pris gout ?

A.Q.G. : Oui. En ce moment il y a une nouvelle certification en cours, la V2020, très centrée patient. L’ancienne, la V2014, regardait plutôt des protocoles et donnait une note, A, B, C ou D. La V2020, attribue des macarons qu’on retrouve à l’entrée des établissements, ou en ligne sur le qualiscope de la HAS, avec des couleurs : vert, jaune, orange, ou rouge. Le meilleur résultat possible c’est Vert : très haute qualité des soins. Les premières certifications V2020 ont lieu depuis quelques mois.

Pour faire cela, il faut des médecins experts visiteurs, car cette nouvelle méthode, ne se contente pas de regarder les procédures, les protocoles. Tout a changé, le plus important c’est le patient et faire parler le patient sur le vécu de son hospitalisation. La HAS a établi des grilles, et les médecins experts visiteurs vont voir des patients plus ou moins au hasard, et leur posent des questions. La réponse est binaire, oui ou non. Il y a des critères impératifs, comme le respect de l’intimité et de la dignité du patient… Donc il faut au cours de la conversation cocher les réponses. Et si au fil des entretiens les témoignages s’accumulent sur des mauvaises pratiques, on sort une fiche anomalie, et cela dégrade la note de l’hôpital. 

 

Donc l’avis d’un seul patient peut tout faire basculer ?

A.Q.G. : Non, pour 340 lits dans l’hôpital que j’ai visité, lors de mon premier contrôle il y a deux mois, on a dû voir 20 patients traceurs. On tient compte de tout, on prend des notes. On les transmet au coordinateur, pour pondérer les résultats de la grille. Donc dès qu’on coche un « Non », il faut qu’on explique et qu’on argumente notre note. Ce qui est intéressant c’est qu’on soit plusieurs experts visiteurs, et qu’on échange ensuite.

 

Comment est-on recruté médecin expert visiteur ?

A.Q.G. : Il faut être volontaire et il faut suivre un parcours de formation. Ça se passe à 80% à distanciel et la fin sur place, à la HAS. Il y a quand même une centaine d’heures de cours, moi je faisais ça le soir, après mon travail, ou pendant que j’ai été arrêtée à cause du Covid. J’ai appris la méthode du patient traceur. Car il n’y a que les médecins qui sont autorisés à rentrer dans la chambre des patients pendant une certification. C’est pour cela que la HAS recrute des médecins. Il faut s’engager à venir faire des visites de certification deux jours deux fois par an.

 

Et il y a une rémunération ?

A.Q.G. : Soit vous touchez votre salaire, votre employeur vous autorise à quitter votre poste et la HAS vous verse une paie en plus, autour des 350€ brut par jour de certification ce que j’ai choisi. Soit vous prenez un jour sans solde et la HAS prend en charge toute votre rémunération, c’est un peu plus complexe. Sur toute la France nous sommes 700 médecins experts visiteurs.


Et vous ne comptez pas vous en arrêter là ?

A.Q.G. : Là je suis en train de faire une passerelle, une autre formation, pour devenir expert visiteur à part entière, en plus de mon travail à l’hôpital. Donc je dois apprendre les autres méthodes. Le parcours traceur : le parcours d’un patient qui est sorti dont on vérifie le dossier de l’entrée à la sortie. Le traceur ciblé : pour des procédures spécifiques, la transfusion, la greffe d’organe, les médicaments à risque, on regarde si tout est conforme dans l’hôpital. Et aussi l’audit système : des entretiens avec la gouvernance, pour voir s’ils sont moteur dans l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins de l’hôpital.

 

Donc vous qui vouliez arrêter l’hôpital, vous êtes réimpliquée à fond ?

A.Q.G. : Complètement, en plus j’en redemande. Régulièrement je regarde si la HAS ne m’a pas envoyé un mail pour me proposer à nouveau de certifier un hôpital. Je suis revenue de la certification de l’hôpital dans l’Est avec des choses que j’ai vues et entendues, qui vont me faire améliorer ma pratique dans l’hôpital où j’exerce, notamment en vue de notre certification à nous. Ainsi, on peut avancer plus vite chez nous pour nous améliorer.

Je suis intimement convaincue que cette méthode va améliorer les choses à l’hôpital. Parce que ces questions qu’on pose aux patients, on les repose juste après à l’équipe soignante, et on leur demande leur avis. Ils sont un peu stressés, car ils ne savent pas ce qu’a dit le patient. Il faut absolument être dans la bienveillance, dans le sourire. Mais on tient compte de tous les arguments, du sous-effectif, etc. Je pense que c’est bien car cela remet le patient et les soignants au centre du jeu, ça valorise les équipes, les aides-soignantes, les infirmières… On les fait parler au maximum de leurs soins, on vient faire une photographie de leur travail à l’instant T, on les sonde, et on leur fait un retour. Ce n’est pas absurde comme avant où toutes les équipes donnaient un coup de collier pendant un an pour sortir des protocoles puis il ne se passait plus rien pendant 5 ans. En plus, nous ne sommes pas là pour être sévères, au contraire.

 

Et pendant les visites, les médecins vous reçoivent bien dans les services ?

A.Q.G. : Il y a un respect immense. Nous sommes formés à comment nous tenir, à la déontologie. En visite, on nous dresse presque un tapis rouge. Les gens étaient aux petits soins avec moi, pour me proposer un verre d’eau, pour que ma visite se passe de la façon la plus fluide possible, et je garde un souvenir d’échanges riches et humains. Avant ma première visite, j’avais un peu d’appréhension. J’avais lu que des médecins avaient boycotté la visite de certification dans un CHU. Les soignants disaient, et ce n’était pas absurde, « on n’a pas les moyens de soigner, et on nous demande si la vaisselle est propre ». Je me disais, « Mais s’ils refusent ma visite, comment vais-je réagir ? ».

 

Vous pourriez quitter le soin pour le contrôle ? 

A.Q.G. : Non, ce que j’aime le plus, c’est être avec mes patients, dans leur chambre. A l’avenir, mon équilibre serait peut-être vers du 50/50, là j’ai 44 ans. Et même si le travail fait auprès de la HAS m’intéresse beaucoup, je n’arrêterai jamais totalement le soin. La médecine c’est une passion, j’adore mes patients et ils me le rendent bien. En hématologie, ce sont des traitements longs, des chimiothérapies, et il y a un lien important qui se crée. Ça me ressource, j’aurais vraiment du mal à m’en passer.

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