Mad dogme

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Critique de « L’enlèvement », de Marco Bellocchio (sortie le 1er novembre 2023). XVIIIe siècle, à Bologne. Le jeune Edgardo Mortara est brutalement enlevé à sa famille, juive, pour être élevé dans le catholicisme. La loi pontificale est sans appel à ce sujet : tout enfant baptisé devra recevoir une éducation chrétienne. Or, une ancienne nourrice a avoué avoir baptisé le petit Edgardo, alors gravement malade, en secret. Commence une bataille insensée entre la famille Mortara et le Pape Pie IX. 

Mad dogme

Marco Bellocchio signe un film ahurissant de puissance et de maîtrise pour nous rappeler à quel point l’emprise théocratique est de la dynamite mentale pour ses ouailles. Et à quelles extrémités conduit le dogme. 

Il est des films qui ne se peuvent juger qu’à leur ultime séquence. L’Enlèvement est de ceux-ci. Impressionnant de bout en bout, habité d’un classicisme baroque et de la beauté de l’Italie, nous aurait-il tant impacté sans son épilogue ? La question ne se pose pas, puisqu’il existe, et qu’il permet, par une phrase sans appel, d’envisager l’œuvre sous un angle tout à la fois légèrement différent et radicalement neuf. C’est par cette ultime séquence, que l’on vous invite fortement à expérimenter, que Bellocchio dévoile à quel point le dogme, toxine envahissante et galopante, est capable, peut-être plus que le pouvoir, de s’emparer de l’âme pour la dénaturer. Ali Abbasi l’avait déjà admirablement démontré dans les mésestimées Nuits de Mashhadune société iranienne conditionnée jusqu’au délire y acclamait un tueur de femmes « impures ». Mais Bellocchio le fait de façon presque anodine, la puissance de l’impact émotionnel n’ayant d’égal que la brièveté avec laquelle il est délivré. Plus fort, en tout cas, que la déflagration au cœur d’Oppenheimer

L’Enlèvement reste un rare tour de force. De la part d’un réalisateur dont l’avancée en âge semble affermir le talent, déjà immense dès son premier film. La chronique de l’histoire d’Edgardo, de sa famille et du Pape, relève à la fois de l’opéra, du film d’horreur - les premières séquences, à hauteur d’enfant, convoquent des peurs ancestrales d’abandon et d’arrachement - et du drame épique, parfois même de la pochade. Le film, jamais ennuyeux et constamment surprenant, est tout autant porté par le souffle de l'Histoire que par le chuchotement d'un enfant apeuré. Les personnes atteintes d'anxiété généralisée sont là pour nous rappeler que l’inquiétude se construit sur d’insondables terreurs. Bellocchio nous conte l’une d’entre elles, et le fait avec la vigueur d’un formidable coup de gueule, laissant un gosse laminé et nous avec. Nous n’aurions pas voulu terminer l’année sans vous le transmettre. 

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