« Je n’ai plus envie de pratiquer la médecine dans les conditions qui s’imposent désormais aux urgentistes » 

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Yacine Lamarche-Vadel a 50 ans, urgentiste volant et formateur,  nous raconte ses premières et dernières fois...

« Je n’ai plus envie de pratiquer la médecine dans les conditions qui s’imposent désormais aux urgentistes » 

Yacine Lamarche-Vadel, un médecin urgentiste lucide.

© Fabien Verso

La première fois où…

…Tu as eu envie de faire médecine ?

J’ai toujours adoré les sciences-nat : observation de la nature, des espèces, nomenclature des animaux… En 1ère littéraire, un étudiant m’a raconté avec passion ce qu’il faisait en médecine, ça m’a donné le déclic. J’ai fait une remise à niveau scientifique à la fac d’Orsay, genre classe prépa pendant un an, qui m’a permis d’entrer en médecine et de réussir le concours dès le premier passage. 

…Tu as eu tes premiers patients ?

Avant médecine, j’ai été embauché en RCA (remplacement de congés annuels), l’été à Lariboisière en cardiologie, chez le Pr Robert Slama. À l’origine plutôt un boulot d’aide-soignant mais j’ai remplacé celui qui faisait les ECG. Je me souviens de l’ambiance dans Paris très tôt et des odeurs de désinfectants hospitaliers. D’emblée j’ai été confronté à des situations pas faciles, voire effrayantes. Comme ce patient, en insuffisance cardiaque, dans le coma, cachectique, sur le corps duquel les petites poires à poser pour mon ECG ne tenaient pas : le plus long ECG de ma vie ! J’avais juste envie de m’enfuir de la chambre et de ne pas rester auprès de ce moribond…

…tu as dû faire seul interne ?

Lors de mon premier stage, à Fontainebleau, aux Urgences et au Smur nous étions séniorisés de façon très inconstante. Un enfant à domicile, atteint d’une crise d’asthme, s’enfonçait, perdait connaissance. Le senior, appelé à la rescousse via la régulation, a refusé de se déplacer. L’infirmière a proposé de faire des aérosols d’adrénaline, que je ne connaissais pas et qui ont permis au gamin de s’améliorer énormément. C’est exactement ce qui est décrit dans les géniaux Récits d'un jeune médecin de Mikhaïl Boulgakov : parfois d’autres soignants infirmières ou aides-soignantes donnent de bonnes idées au bon moment mais la gloire rejaillit finalement sur le médecin.

 

Et la dernière fois où…

…Tu t’es senti utile ?

Nous avons été appelés pour un patient en SSR avec un cœur artificiel et extrêmement fatigué. L’équipe sur place ne savait pas trop comment le suivre, la hotline cardiologique nous a donné des infos inutiles et qui se sont avérées fausses. Lorsque nous sommes arrivés avec le Smur, j’aurais pu demander au concierge s’il avait des idées tant j’étais moi-même perplexe ! L’infirmière a proposé de prioriser les choses, nous avons travaillé en équipe, remis du bon sens pour réussir sa prise en charge.

…Tu as eu envie d’arrêter médecine ?

L’idée ne m’est jamais venue. Mais c’est la grande crise des Urgences et je n’ai plus envie de pratiquer la médecine dans les conditions qui s’imposent désormais aux urgentistes : hériter le matin « d’un service » de 30 patients à placer, traiter, réorienter à la maison en plus du flux permanent jour et nuit. Je ne veux plus travailler dans certains services d’urgence où les conditions de travail et de soins, de sécurité et de qualité sont déplorables. Je choisis les lieux afin qu’exercer demeure un plaisir.

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