En Eure-et-Loir les médecins sont traumatisés : « J’ai exercé mon droit de retrait, car je me sentais en insécurité. Les gendarmes sont arrivés pour me réquisitionner »

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Les médecins d’Eure-et-Loir ont créé un collectif pour tenter de faire entendre leur souffrance aux pouvoirs publics : l’Union des médecins d’Eure-et-Loir, relayé par le SML. Anne-Sophie Gilmardais, médecin généraliste et membre du collectif, nous en dit plus sur cette situation dramatique.

 

En Eure-et-Loir les médecins sont traumatisés : « J’ai exercé mon droit de retrait, car je me sentais en insécurité. Les gendarmes sont arrivés pour me réquisitionner »

© IStock 

What’s up doc : Pourquoi avoir créé l’Union des médecins d’Eure-et-Loir ?

Anne-Sophie Gilmardais : Nous avons décidé de créer ce collectif au sein du département pour faire bouger les lignes face à la souffrance des médecins. Notre département est sinistré. Un patient sur trois n’a plus de médecin traitant.

Quand est né votre collectif ?

A-S G : Depuis 6 mois, nous avons commencé à rencontrer de grosses difficultés à la maison médicale de Chartres. Elle est ouverte à tout le monde de 20h à minuit le soir et les week-ends. Les médecins libéraux travaillent la journée dans leur cabinet et le soir dans la maison médicale. Depuis quelques mois, nous commençons à être en souffrance car les patients n’ont pas de médecin traitant. Nous sommes dans un désert médical. Ils ne savent pas où se soigner, le seul moyen de consulter est cette permanence. Quand nous arrivons, une cinquantaine de personnes attend à l’entrée.

Il n’y a pas de tri en fonction de la gravité des symptômes, juste un système de ticket comme à la boucherie. Nous prenons les gens par ordre d’arrivée. Malgré tout, nous sommes obligés de prioriser les personnes qui en ont le plus besoin : les enfants, les personnes âgées et les personnes fragiles. L’attente pendant des heures crée des tensions et de la violence. Nous sommes victimes d’agressions verbales. Il y a même des patients qui se battent dans la salle d’attente. Il y a quinze jours, je suis arrivée à ma garde, je me suis excusée, je leur ai dit que j’allais faire de mon mieux mais que je ne pourrais pas voir 50 personnes en 4h.  

Je suis sortie de ma garde et j’ai demandé à être accompagnée par la sécurité de l’hôpital proche de la maison médicale. J’ai eu mal au ventre pendant toute la garde. J’avais peur d’être agressée à chaque fois que j’ouvrais la porte de la salle d’attente.

Franchement, ces gardes sont horribles, nous n’avons avec nous ni agent de sécurité, ni d’agent de régulation.

« Quand nous arrivons, une cinquantaine de personnes attend à l’entrée. Il n’y a pas de tri en fonction de la gravité des symptômes, juste un système de ticket comme à la boucherie »

A-S G : Nous avons donc décidé d’exercer notre droit de retrait depuis le 30 décembre de manière illimitée tant que des mesures concrètes n’ont pas été prises. Nous le faisons pour les patients, ils souffrent, les médecins souffrent, nous nous sentons méprisés.

Quels sont vos objectifs ?

A-S G : Nous n’avons pas d’objectifs. Le problème est le flux de la maison médicale de garde. Le fait qu’elle soit en surcharge, que cela ne fonctionne pas est le reflet d’un désert médical. C’est cela que nous voulons faire comprendre à nos politiques. Ce n’est pas qu’une question d’insécurité. Cette dernière résulte du fait qu’il n’y a pas assez de médecins généralistes dans notre département. Les gens souffrent et deviennent agressifs. En plus, nous sommes envahis par l’administratif. Nous ne pouvons pas recevoir correctement les patients. Nous voulons une simplification administrative pour avoir plus de temps médical dans nos cabinets. La préfète veut régler le problème d’insécurité mais ce n‘est pas le problème de fond. Nous avons des propositions à faire à nos élus pour pouvoir soigner correctement les gens.

" Les gens souffrent et deviennent agressifs. En plus, nous sommes envahis par l’administratif. Nous ne pouvons pas recevoir correctement les patients. Nous voulons une simplification administrative pour avoir plus de temps médical dans nos cabinets. "

Pour vous, quelles seraient les solutions ?

A-S G : Dans notre département, il faudrait une simplification administrative. Nous voulons l’arrêt immédiat de certains certificats, de certaines ordonnances. Que médecin de ville redevienne médecin de famille, nous ne voulons pas être un médecin administratif. Nous voulons un assistant médical administratif, pour aider chaque médecin qui le souhaite, sans qu’il n’y ait de contrepartie, de pression, ou de coûts supplémentaires. Nous voulons le transfert de certaines compétences aux infirmières comme par exemple le certificat de décès. Quand il y a un décès, la famille doit parfois attendre toute la journée ou toute la nuit avant que nous puissions venir. Nous voulons aussi revenir à la prévention. Nous avons des infirmières de prévention qui peuvent nous aider. Nous pouvons travailler en équipe.

28 millions de consultations par an sont non-honorées. Nous aimerions aussi une responsabilisation des patients.

Êtes-vous pour une valorisation de la consultation à 50 euros ?

A-S G : Dans ce que nous avons proposé, il n’y a pas de question de revalorisation des tarifs des médecins généralistes. Ce que nous voulons ce sont des mesures concrètes pour nos patients.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/ca-aurait-ete-dommage-de-rester-sur-les-medecins-veulent-doubler-le-tarif-de-consultation

Suite à votre doit de retrait, il y a eu des heurts, les gendarmes sont même venus.

A-S G : En effet, 3 heures après avoir posé le droit de retrait, les gendarmes sont venus dans les cabinets des médecins pour transmettre la réquisition. Une collègue m’a même appelée en pleurant pour me dire : « Tu te rends compte, j’ai exercé mon droit de retrait, car je me sentais en insécurité. J’étais avec mon étudiant. Les gendarmes sont arrivés. Tout le monde était effaré ». Vous vous rendez compte de l’exemple que l’on donne aux étudiants. Le sien lui a dit : « cela ne me donne pas envie de m’installer en Eure et Loire. »

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