D’une nuit à l’autre, de moins en moins d'infirmiers à l’hôpital… et pour cause

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Une charge de travail toujours plus lourde et des primes insuffisantes : l'hôpital public peine à trouver des volontaires pour les nuits de garde et la vie à contre-courant qui va avec.

D’une nuit à l’autre, de moins en moins d'infirmiers à l’hôpital… et pour cause

A la Pitié-Salpêtrière, dans un service dédié à la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux, l'équipe de nuit ne compte plus que deux infirmières titulaires sur six. Les démissionnaires "étaient des personnes qui étaient là depuis 10 ans, 15 ans", raconte Sophie Crozier, neurologue dans ce service de pointe.

Partout sur le territoire, des services d'urgences sont forcés de fermer quand la nuit tombe, faute de personnel suffisant.

Et ce ne sont pas les seuls services menacés : "On est censé avoir une équipe de nuit de 12 infirmières et infirmiers mais ils ne sont aujourd'hui plus que deux", détaille à l'AFP Jordan Le Solliec, infirmier dans le service d'immunologie clinique de l'hôpital Saint-Louis (Paris AP-HP).

Après avoir travaillé "de jour", il a rejoint l'équipe de nuit de janvier à avril, travaillant de 19h à 07h, trois journées par semaine. "Par choix. Mais j'avais hâte que ça se termine", raconte-t-il.

L'infirmier de 29 ans pointe du doigt "la fatigue", les perturbations de la vie sociale, le manque de balades, de sport... Et "la pression supplémentaire" qu'il a parfois ressentie dans le service, avec seulement deux médecins de garde pour l'hôpital et un nombre de patients par infirmier plus important qu'en journée.

Si le travail de nuit a toujours été "difficile", une "présence hiérarchique moins importante", synonyme de plus d'autonomie pour les infirmiers expérimentés, et les petites plages de repos pendant la nuit qui permettaient d'avoir suffisamment d'énergie pour "une petite vie sociale la journée", pouvaient "pour certains soignants compenser les difficultés du travail de nuit", note le sociologue Marc Loriol.

1,07 euro brut de l'heure comme majoration pour la nuit

Mais "ces petits avantages" se sont estompés avec "la politique actuelle à l'hôpital", note ce membre de l'Idhes, laboratoire de recherche en sciences sociales. Suite aux "fermetures de lits" pour "des raisons budgétaires" et à "la réduction de la durée moyenne de séjour", les malades dans les services de nuit nécessitent une attention permanente.

Et dernièrement, la charge de travail s'est encore intensifiée avec le Covid et ses premiers arrêts maladie, ses premières démissions. "C'est un cercle vicieux, moins les personnels sont nombreux, plus il y a de départs", détaille Sophie Crozier. "Les gardes, les week-ends, tout le monde en a marre. Avant, ça nous coûtait moins mais parce qu'on allait mieux".

L'intérim, nécessaire pour pallier le manque de volontaires à l'embauche "coûte cher". De plus, c'est un "grand destructeur du collectif de travail", note Marc Loriol. Sans parler de la perte inestimable de l'expérience et des compétences spécifiques des personnels soignants expérimentés ou de l'usure de l'accueil des nouveaux quand il y a trop de turn-over.

"Il faut en priorité, je pense maintenant de manière urgente, mieux rémunérer le travail de nuit et de week-end, ce que l'on appelle la permanence des soins", a jugé récemment Rémi Salomon, président de la commission médicale des Hôpitaux de Paris lors d'une interview sur RTL.

L'indemnité pour les infirmiers travaillant la nuit à l'hôpital public est de 1,07 euro brut de l'heure. Une majoration qui ne concerne que les heures travaillées entre "21h et 6h", précise Jordan Le Solliec. Soit 9,63 euros brut par nuit. "Par rapport aux difficultés que cela engendre, par rapport à tout ce que l'on met de côté, ce n'est pas assez", ajoute-t-il.

Dans une lettre adressée en avril à l'équipe du service d'immunologie clinique de l'hôpital Saint-Louis, le ministre de la Santé, Olivier Véran, avait indiqué vouloir avancer "plus encore sur la prise en compte des contraintes de nuit".

Car avec la pénurie actuelle d'infirmiers, prévient Marc Loriol, ceux dont "les conditions de travail deviennent trop difficiles" peuvent facilement trouver une autre affectation.

Avec AFP

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