Charles Masson, médecin et auteur de BD

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Du crayon à l'otoscope

Charles Masson, médecin et auteur de BD

À la fois auteur de BD et chirurgien ORL, Charles Masson est une curiosité. En 2003, il publie Soupe froide, son premier album. L’histoire d’un clochard qui préfère affronter l’hiver que subir l’humiliation d’une soupe froide au foyer. Le premier succès d’une longue série, dont le remarqué Droit du sol (2009), sur la vie des « clandos » de Mayotte. C’est dans une tonalité plus personnelle qu’il vient de publier Carnet de Santé, dans l’excellente Revue dessinée (voir encadré). L’occasion pour What’s up Doc de s’entretenir avec cet humaniste iconoclaste.

 

What’s up Doc. Qu’est-ce qui précède chez vous : la médecine ou le dessin ?

Charles Masson. Je dessine depuis tout petit. J’ai toujours voulu être auteur de bande dessinée, alors que c’est au lycée que j’ai décidé de faire médecine. L’anatomie me plaisait. Le choix de l’ORL, c’est aussi pour des histoires de dessin : l’anatomie de l’oreille, les os du crâne, tout ça me plaisait… J’ai continué à dessiner en médecine, pendant les gardes. Je dessinais devant la TV, très vite. J’ai un style assez relâché qui me permet de capter le mouvement.

WUD. Après vos études à Lyon, vous partez dans les DOM-TOM pendant dix ans. Pourquoi ?

CM. Le jour de ma thèse, mon directeur m’a dit que j’avais « un parcours de vie un peu farfelu ». Pour les gens, la BD ce n’est jamais sérieux, ils pensent à Gaston Lagaffe. Pourtant je n’ai pas l’impression que mes BD soient farfelues ! J’avais vu qu’on pouvait vivre différemment outre-mer. Donc je suis parti à La Réunion. On finit à 18h le soir, on décide de son temps autrement. J’étais sûr qu’un jour le dessin ressortirait.

WUD. Et en effet, c’est là que vous créez votre premier vrai projet.

CM. C’était une adaptation du Peseur d’âmes, une nouvelle de 1931 d’André Maurois. Un truc un peu ésotérique sur l’âme, la vie, la mort... C’est un peu dépassé maintenant. Ce n’est jamais sorti mais ça m’a permis de dessiner 200 ou 300 planches. À l’époque je n’avais pas compris que je pouvais faire bouger mes personnages. La BD c’est particulier : le dessinateur est à la fois à la réalisation et à la direction d’acteurs. Maintenant, je fais aussi jouer mes personnages.

WUD. Soupe froide, Droit du sol, Bonne santé, et maintenant Carnet de santé… La santé et le social semblent au cœur de votre œuvre.

CM. À la base, j’aurais bien fait Les Schtroumpfs, mais personne ne m’attend là-dessus ! Je fais aussi des albums pour enfants, mais ça tout le monde s’en fiche. (Rires.) Depuis la fin des années 90, il y a eu la révolution des romans graphiques. Un des premiers, ça a été Les Pilules bleues, de Peeters, qui raconte son histoire avec une fille séropositive. Les pilules bleues, c’est la trithérapie. Certains éditeurs ont eu l’intelligence de sauter sur l’occasion. Je me situe dans cette lignée-là.

WUD. Après dix ans dans les DOM-TOM, vous vivez maintenant à Lyon. Dans Carnet de santé, vous racontez votre tentative d’y faire de l’humanitaire.

CM. Je suis allé voir Médecins du monde en me disant que j’allais les aider. Dans l’humanitaire, on a l’impression qu’on va sauver le monde à moindres frais. Mais MdM n’est pas MSF : ils ne vont pas au bout du monde pour sauver des enfants. Ils m’ont refusé dans leur centre de soins, en me disant : ce qu’il faut, c’est expliquer aux gens comment se faire soigner. J’aurais bien voulu avoir une blouse blanche marquée « Médecins du monde », qu’on me laisse passer dans la rue... (Rires.) Mais la vie ne fonctionne pas comme ça et c’est très bien ainsi.

WUD. Vous mentionnez aussi des raisons politiques à cet accueil moins triomphal que prévu.

CM. MdM ferme tous ses centres de soins les uns après les autres, pour mettre l’État face à ses responsabilités. Quitte à les rouvrir plus tard. Il y a l’élection présidentielle dans six mois, et il est question de supprimer l’AME (aide médicale d’État, ndlr). On risque alors de se retrouver avec 600 000 personnes hors-AME à soigner dans le circuit associatif, une vraie catastrophe humanitaire ! Et les permanences d’accès aux soins ne suffiront pas.

WUD. Au passage, vous découvrez l’existence de tout un pan du système de soins dont vous ignoriez l’existence.

CM. On avait des cours d’économie médicale quand on était à la fac. Mais il y a une évolution permanente : depuis il y a eu la CMU, puis l’AME, puis les Pass (permanences d’accès aux soins de santé, ndlr)... On a des formations sur la chirurgie endonasale mais quand il s’agit de s’occuper des plus démunis, il n’y a pas grand-monde pour nous en parler. Or les médecins sont de bonne volonté, ils aimeraient bien savoir.

WUD. Et finalement, vous avez accepté d’accueillir gratuitement les patients de MdM à votre cabinet.

CM. Oui, à raison d’un ou deux par mois. Dans la plupart des cas, ils ont besoin de soins courants que je peux réaliser au cabinet. Le reste du temps, je les oriente vers l’hôpital ou la Pass. La dernière fois, j’ai eu une patiente congolaise avec une névrose traumatique absolue : son mari était en prison, elle avait subi des violences, avait vécu au Nord-Kivu... Une de mes patientes, psychologue, a accepté de s’en occuper gratuitement. Le réseau est un principe extraordinaire.

 

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Faire de l’humanitaire… en métropole

« En bon médecin, je croyais que l’accès aux soins, c’était soigner. » Ainsi débute le reportage publié par Charles Masson dans le numéro 13 de La Revue dessinée, intitulé Carnet de santé. De retour à Lyon après une longue parenthèse ultramarine, le médecin-bédéiste se tourne vers Médecins du Monde pour y faire œuvre de bénévolat. Mais au lieu du tapis rouge attendu, il se heurte à un refus poli…  avant de trouver sa juste place, abandonnant au passage ses fantasmes de French doctor. Dans ce témoignage dessiné, Charles Masson relate sa découverte des marges du système de soins français. Une zone grise peuplée de signes cabalistiques (AME, CMU, Puma, Pass, Caso…), où l’associatif vient se substituer à l’action publique. Passionnante excursion, drôle et didactique, où l’on comprend que la clé de l’accès aux soins réside moins dans le soin que dans l’accès.

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Propos recueillis par Yvan Pandelé

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