Bonheur et tremblements

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Critique de "Les Jeunes Amants", de Carine Tardieu (sortie le 2 février 2022)

Bonheur et tremblements

Il y a quinze ans, Pierre, oncologue dévoué à ses patients et à ses travaux de recherche, a croisé le chemin de Shauna, architecte au chevet de son amie mourante. Lorsqu'ils se recroisent, presque par hasard, des émotions ressurgissent chez chacun. Puis, très vite, l'amour. Il y a quinze ans comme aujourd'hui, beaucoup d'obstacles se dressent pourtant entre les deux jeunes amants. Et parmi eux le fait que Shauna soit âgée de 25 ans de plus que Pierre... Rarement dans le cinéma français des dernières années le romanesque n'a été aussi assumé, et aussi vrai. 

Avant d'apprendre que son cancer avait récidivé, et d'y succomber, la cinéaste Solveig Anspach projetait de rendre hommage à sa mère en racontant le dernier amour de celle-ci, pour un homme bien plus jeune. Elle n'en a pas eu le temps, mais son souhait que le film voie le jour a été réalisé grâce à la persévérance d'amis fidèles, et peu à peu ce projet est devenu celui de la cinéaste Carine Tardieu, qui avec ces Jeunes Amants va au-delà d'un hommage par réplique. L'ombre de la mort - Parkinson, cancer ou mort subite - plane en effet en permanence sur le film sans que jamais un instant elle ne prenne le dessus sur la vie, ne faisant finalement que la rendre plus belle, précieuse peut-être uniquement à ce prix. C'est ce rapport à la mort qui semble sceller la rencontre entre Pierre et Shauna, mais c'est la vie et uniquement elle qui va leur permettre de se recroiser et de s'aimer follement. Le sujet peut paraître simpliste et rebattu, mais c'est parce qu'elle n'essaie jamais d'en faire autre chose, et parce qu'elle se contente de raconter l'histoire de ces deux êtres mais aussi de ceux qui les entourent, que Carine Tardieu réalise une oeuvre profondément émouvante, où le romanesque côtoie le banal sans que jamais l'un soit jugé supérieur à l'autre. D'où l'empathie égale que l'on ressent pour chaque protagoniste.

Deux aspects traversent le film et lui confèrent sa fulgurance : l'évidence, celle de la passion, jamais remise en question, jamais incongrue ; et la vitesse, celle à laquelle cette histoire, une fois lancée, naît, évolue, se complique... C'est peut-être ce rythme qu'adopte le film, et qui empêche, de façon fort heureuse, toute psychologisation, qui rend parfois cette passion difficile à suivre, ces choix difficiles à comprendre, mais ce n'est jamais la différence d'âge, qui s'efface instantanément derrière la limpidité du sentiment. Ce sont bien d'autres, tant d'autres obstacles qui se dressent entre eux, dévoilés progressivement et avec une constante subtilité par une équipe touchée par la grâce. Chacun des acteurs mérite une kyrielle de superlatifs, et semble puiser le meilleur de son jeu et de son humanité pour nous rendre son personnage si proche, si vrai. 

Ce qui fait du bien dans les Jeunes Amants, au-delà de ce que cela nous raconte, c'est la bienveillance qui cimente chacun des personnages, par delà les comportements qu'ils adoptent pour tenter de faire face à ce qui les dépasse. Alors que les situations sont loin d'être simples et propices à la bonté, chacun va, face à cet amour qui emporte tout, et à la mort qui n'est jamais loin, se révéler au meilleur de lui-même. On est en droit d'en être touché au coeur, à l’image du dernier mot de la dernière scène, prononcé par une Fanny Ardant exceptionnelle.

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