Thomas Lilti nous renvoie en « première année »

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Thomas Lilti serait-il devenu, au fil de ses films, le cinéaste de nos micro-traumas, illusoirement résolus par la magie du temps qui passe ?

Thomas Lilti nous renvoie en « première année »

Après l’angoisse de la première garde qui vire au cauchemar dans Hippocrate et – de l’autre côté du miroir – la confrontation à la maladie dans Médecin de campagne, voilà que le réalisateur nous fait revivre le marathon surhumain de la 1re année de médecine ! PACES pour les plus jeunes, P1 pour les plus anciens, cette année est de celles que nous ne voulons jamais revivre. On pense avoir posé la seconde couche avec la 6è année, être blindé question concours et examens (au point de prendre un plaisir masochiste à s’en infliger d’autres par la suite !), mais…

 

C’est ce « mais » que Lilti choisit de réexplorer, cette zone d’ombre ou ce qu’il en reste. Et le plus fort est qu’au travers de cette histoire relativement simple de deux étudiants dont les trajectoires vont se croiser de façon éphémère, le temps de cette « première année », il réussit à nous faire ressentir, et donc à nous montrer, ce qui nous hante peut-être tous à des degrés divers.

 

Ainsi fait-on la connaissance de Benjamin, bizut, fils de chir’ biberonné à la réussite – non pour faire comme Papa, mais plutôt dans l’espoir d’être remarqué par lui –, et d’Antoine, opiniâtre triplant à la vocation chevillée au corps. Première réussite du film : la crédibilité de ce duo, ainsi que l’empathie immédiate que l’on ressent pour chacun. Vincent Lacoste (Antoine) fait un bond en arrière de 6 ans par rapport à Hippocrate, mais à peine cela se remarque-t-il : en étudiant acharné jusqu’à la torture mentale, il montre une nouvelle fois l’étendue de sa palette de jeu. Quant à William Lebghil, il incarne Benjamin avec l’économie de jeu, toute en subtilité, nécessaire à la compréhension de sa fragilité et de son décalage ; à la fois omniprésent et en retrait, comme absent à lui-même, il est épatant.

 

En dépit de ce qu’on pourrait croire, Lilti n’a pas réalisé un film sur la médecine. Au contraire, le métier est à peine aperçu, lors d’une scène au bloc – duquel Benjamin est vite expulsé –, ou encore par l’entrebâillement d’une porte d’où les deux compères observent, fascinés, un cours de dissection. On ressent clairement ce qui intéresse le réalisateur, toujours aussi brillant pour poser une problématique sociétale puis déployer des champs de réflexion. À travers ce film d’apprentissage, il nous interroge sur le système de sélection forcené qui régit notre formation depuis l’enfance, qui privilégie la compétition et perpétue les castes, mais surtout qui conduit à cette aberration monstrueuse : un concours vidé de tout sens, alors que son but premier est de former de jeunes adultes encore inexpérimentés, et de les accompagner dans l’une des décisions les plus cruciales de leur vie. Le tout sans filet et sans guide, ou presque !

 

Il est tout de même saisissant de constater, au vu des nombreuses scènes décrivant les rituels ponctuant cette année si particulière, que rien n’a changé depuis des lustres. L’apogée de l’immuabilité étant ce parcage d’étudiants dans des salles immenses, le jour du concours : ces travées interminables, ce matériel vieillot, cette symétrie étouffante rappellent les films de Jacques Tati – c’était il y a tout juste 50 ans – ! En optant, c’est son habitude, pour une fin heureuse, mais cette fois-ci plus complexe et plus remuante, Lilti appelle à un dépoussiérage de nos habitudes vermoulues dont les dégâts peuvent être immenses. Et durables. Puisse-t-il être entendu…

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