Suicide d'un interne à Reims : sa sœur met en cause management nocif et surcharge de travail

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Dans un entretien exclusif, la sœur de Florian Rodaro revient sur le geste désespéré de son frère, et met en cause sa surcharge de travail, ainsi que le management nocif d'un des séniors qui le supervisait à Troyes. Florian traversait aussi des difficultés sentimentales, mais pour sa sœur, ses conditions de travail sont la principale cause de son geste désespéré. 

Suicide d'un interne à Reims : sa sœur met en cause management nocif et surcharge de travail

WUD. Quel était le tempérament de votre frère ? 

Florian était passionné (métier, loisirs...), il s'investissait à 100% dans tout ce qu'il faisait.  Mon frère était intelligent (il est d'ailleurs arrivé 22e en PACES, en étant primant). Il était fort, honnête, droit, mais pouvait s'attirer pas mal d'ennuis relationnels par sa "grande gueule" qu'il ouvrait facilement pour se dresser contre les injustices (un vrai "Zorro"), il ne pouvait pas s'en empêcher. Florian était également drôle, sensible et empathique, notamment avec ses patients.

WUD. Aimait-il ses études ? 

Oui, mon frère, d'aussi loin que je me souvienne, a toujours voulu être médecin. Florian s'ennuyait le plus souvent à l'école avant d'entrer en médecine (même s'il a eu une scolarité sans encombre), le seul moment où il a été vraiment enthousiaste dans sa scolarité, c'était lors de son stage d'observation en 3e (fait avec un chirurgien au bloc opératoire).
Il voulait sauver des vies (c'est pour cela qu'il avait choisi "l'anesthésie-réanimation", ainsi que pour la prise en charge globale du patient que cette spécialité permet). Comme ses co-internes nous l'ont dit vendredi, il était en constante recherche d'améliorations pour le patient et à l’affût des dernières recommandations.
Un exemple que j'ai pu vivre : lorsque j'étais enceinte (j'ai accouché en juillet dernier) j'avais parlé à mon frère des péridurales ambulatoires. Il a vu que cela me tenait à cœur et cela n'était pas possible avec le matériel à disposition de son hôpital à Troyes et il a donc eu l'idée de le construire avec les "moyens du bord" avec un de ses co-internes, pour le plus grand plaisir de ses patientes qui l'ont beaucoup remercié. Il avait adoré son stage en anesthésie à Troyes, et les équipes rencontrées alors.  Il était tellement passionné que son travail restait toujours dans un coin de sa tête, il restait connecté, même en vacances, à ses collègues en poste (groupe Whatsapp), j'ai pu le voir cet été.

Il me disait avoir eu de sérieux problèmes avec un de ses seniors le semestre précédent

WUD. Était-il entouré ou plutôt solitaire ? 

Entouré car il avait une famille qui l'aimait et l'admirait. Je lui écrivais et/ou l'appelais toutes les semaines (notre dernier échange date de 48h avant son départ), mes parents également.De plus, il avait des amis, nombreux. Néanmoins, nous sommes à Tours, il était donc "isolé" car loin de nous. Depuis un mois et demi, il prenait moins de temps pour répondre à sa famille ou à ces amis mais répondait tout même de temps en temps et continuait de faire des blagues.

WUD.  Avez-vous été étonnée par son geste ?

Oui, cela a été une énorme claque, l'impression d'être projetée dans une réalité parallèle. Une part de moi n'a d'ailleurs pas encore réalisé tellement cela semble irréel.
Il n'était pas dépressif et n'avait pas laissé transparaître ses intentions à sa famille, ses amis ou les seniors avec qui il travaillait, je suis persuadée que si cela lui est arrivé, cela peut survenir à n'importe quel interne. Il s'inquiétait pour certains de ses amis internes que nous connaissons, il redoutait qu'ils ne tiennent pas le coup. J'en discutais avec une amie que nous avions en commun, qui a eu des idées noires et à l'époque, c'est Florian qui l'avait aidée à s'en sortir. Vraiment, rien ne pouvait laisser penser qu'il disparaisse si vite ainsi...

WUD. Soupçonniez-vous son désespoir ? 

Florian s'est toujours beaucoup donné dans son travail et était perfectionniste, comme pourraient le confirmer un grand nombre de ses chefs passés.
Je sais qu'à Troyes il vivait des choses difficiles, car il me disait avoir eu de sérieux problèmes avec un de ses seniors le semestre précédent en service de réanimation. Cet homme aurait notamment dit à plusieurs reprises à Florian qu'il n'était pas fait pour être médecin, ce qui l'a vraisemblablement blessé et fragilisé. Ce senior a d'ailleurs validé le stage de Florian avec des appréciations très négatives et que je pense injustifiées et dues au fait que Florian se levait contre ce qu'il considérait comme des irrégularités et injustices dans le service.Ainsi, il a démarré son stage à Reims en se mettant une énorme pression pour que cela se passe parfaitement bien et il était fatigué.
Je commençais également à me douter que Florian allait moins bien (ou tout du moins qu'il était très occupé), parce qu'il ne répondait plus à mes appels visio sur whatsapp (je lui ai d'ailleurs écrit pour en planifier un, le jour de son décès)... mais j'étais très loin de penser à un tel désespoir.

Nous aimerions également, plus en marge de l'enquête de police, que le contexte professionnel soit reconnu comme le "terrain" qui a déstabilisé mon frère

WUD. Ses conditions de travail ont-elles joué ? 

J'en suis certaine. Il avait de lourds horaires. Ce semestre, il démarrait à 7h30 au bloc mais avait des difficultés pour aller à la Poste avant la fermeture. A la période de Noël, il nous a dit avoir enchaîné les gardes. Sa vie amoureuse a également eu un rôle dans son départ mais ne peut pas à elle seule expliquer son geste.
Je pense qu'il a momentanément manqué de lucidité, parce qu'il était dans un contexte professionnel difficile avec des troubles du sommeil et du stress.

Suicide Écoute :
Écoute des personnes confrontées au suicide.
Permanence d’écoute téléphonique 24h/24, 7j/7.
Tél. : 01 45 39 40 00
Site Internet : www.suicide-ecoute.fr

WUD. Se plaignait-il ? 

Oui, il se plaignait d'être malmené par un de ses seniors à Troyes (évoqué précédemment), de la surcharge de travail et, pour quelques médecins qu'il côtoyait ou avait côtoyé, du manque de rigueur et de l'absence de suivi des recommandations actuelles. Malheureusement, je pense que tout le monde n'avait pas la conscience professionnelle de Florian.
En garde à Troyes en réanimation, il était habituel qu'un des seniors mette plusieurs heures à répondre lorsque les internes (tous de première année) l'appelait.
Par contre, nous n'étions pas au courant de sa vie sentimentale (ce qui est nouveau pour moi puisqu'il m'avait toujours très vite parlé de ses copines et il avait connu plusieurs relations longues -il était donc stable de ce côté-là habituellement-).

Mon frère, d'aussi loin que je me souvienne, a toujours voulu être médecin

WUD. Vous a-t-il parlé de démarche qu'il aurait entrepris auprès de sa fac ? 

Oui, afin de tenter d'améliorer la situation avec le senior qui lui posait problème, il avait rencontré la présidente de la CME lorsqu'il était à Troyes. Il était aussi allé à Reims en parler à un des PU-PH référents. Je pense que Florian ne s'est malheureusement pas adressé aux bonnes personnes parce que l'affaire a, il me semble, été étouffée, ce que Florian ne pouvait pas supporter parce qu'il était honnête et que la justice était vraiment importante pour lui. Il envisageait de signaler auprès de l'ARS les anomalies qu'il avait notées.
 

WUD. Une enquête de police est actuellement menée. Qu'en attendez-vous ?

Nous aimerions que les comportements que Florian a subis soient reconnus et cessent afin que plus aucun interne n'en arrive à de telles extrémités. Nous aimerions également, plus en marge de l'enquête de police, que le contexte professionnel soit reconnu comme le "terrain" qui a déstabilisé mon frère et lui a fait faire de mauvais choix.
Néanmoins, pour aboutir à quelque chose il faudrait que les autres internes osent parler et j'ai des doutes sur le fait qu'ils le fassent, parce qu'ils ont peur et risqueraient leurs carrières (validations de stage, appréciations, postes de chefs de clinique etc...). A cet effet l'Isni doit mettre en place une boîte mail pour que les internes puissent s'exprimer de façon anonyme sur leurs conditions de travail. Nous aimerions, par ailleurs, que des cours de management soient donnés aux médecins managers dans les hôpitaux, pour qu'ils se rendent plus compte de ce qu'ils disent, pour qu'ils sachent mieux encadrer les jeunes. Enfin, il serait bon que les internes soient moins "pieds et mains liés" vis-à-vis de leur hiérarchie, peut-être par des associations ou leurs syndicats, mais il faut du temps pour que tout cela se mette en place. Aussi, la representation des internes ne semble pas assez ancrée dans la subdivision : ni l'association des internes (le CIRC) ni la CADEM (Cellule d'Accompagnement des Etudiants en Médecine) ne semble être des structures auxquels les internes font appel. C'est dommage. 
 

Vous pouvez témoigner auprès de l'Isni en les contactant via ces adresses mail : 
contact@isni.fr
soutien@isni.fr

 

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