Risques psycho-sociaux : deux internes en détresse au CHU de Reims

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Deux internes du CHU de Reims se retrouveraient dans l’impossibilité de valider leurs stages, face à des situations de blocage avec leur hiérarchie. Les documents rassemblés par What’s up Doc suggèrent un acharnement de plusieurs chefs de service et des responsables pédagogiques et médicaux du CHU.
 

Risques psycho-sociaux : deux internes en détresse au CHU de Reims

L’hôpital et la formation médicale ont commencé leur mea culpa. Porté par l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), l’Association nationale de étudiants en médecine de France (Anemf) et d’autres associations ou syndicats de praticiens, le sujet des risques psychosociaux liés aux études de médecine et à l’exercice médical, notamment en milieu hospitalier, fait l’objet d’une attention grandissante.
 
Dans ce contexte, plusieurs affrontements entre internes et leurs responsables au CHU de Reims peuvent surprendre, tant ils semblent relever d’un acharnement ou d’un management aveugle. Deux internes tentent actuellement de valider leurs stages, en vain. Sans pour autant affirmer une totale innocence de leur part, la gestion de ces deux cas pose question, et l’Association nationale Jean-Louis Mégnien est intervenue, pour demander l’appui du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche dans ces deux cas.

Blocage d’entrée

Le premier concerne un interne en chirurgie plastique, actuellement en 9e semestre. « Un étudiant brillant », souligne le Pr Philippe Halimi, qui s’occupe du dossier via l’association dont il est le président, dans un courrier adressé à Agnès Buzyn que What’s up Doc a pu consulter. Avant les ECN, Benoît (1) a participé à plusieurs projets de recherche, à des congrès internationaux – dont l’un lui a valu un prix. Passé par un service de chirurgie plastique et reconstructrice réputé de l'AP-HP lors de son externat, celui-ci vante ses qualités et le soutient dans ses difficultés actuelles, fait valoir le Pr Halimi.
 
Malgré un excellent classement aux ECN et son choix du CHU de Reims, son chef de service lui annonce qu’aucun poste ne lui sera accessible, et des stages de chirurgie plastique validants lui sont refusés. L’interne, qui tente alors d’effectuer des stages hors-subdivision, se voit étonnamment adresser des fins de non-recevoir. Pas de stage à Reims, mais pas de stage ailleurs non plus…
 
Face aux refus d’accès à des stages validants, Benoît décide de prendre un an de disponibilité pour effectuer deux stages de chirurgie plastique à l’AP-HP. À leur issue, il est « humilié publiquement […] devant la commission d’évaluation des stages hors-subdivision », et une médiation échoue. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s’en mêle, en forçant le CHU de Reims à laisser l’interne effectuer un stage au CHU de Lille. « On refuse de valider son stage […] malgré la décision de justice. Le Doyen refuse de lui restituer son carnet de validation de stage », poursuit le Pr Halimi. Un autre stage hors-division effectué à Amiens est également sujet à contestation.

Du blocage administratif à l’enfer quotidien

Face à l’acharnement dont il semble être la victime, Benoît demande à nouveau une affectation hors-subdivision à l’ARS, qui force un stage au CHU de Reims. L’Association Jean-Louis Mégnien rapporte alors une série de « brimades et décisions arbitraires » à son encontre, notamment la signature en public d’un document traduisant une ambiance délétère intitulé « Base du fonctionnement et règles à respecter dans le cadre du stage de [Benoît] au sein du service […] au vu des recours juridiques actuellement en cours ». Il impose la présence d’une tierce personne lorsque l’interne et son chef de service sont dans la même pièce et l’interdiction d’échanges entre les deux individus en dehors de courriels qui devront systématiquement faire l’objet de copies vers la secrétaire du chef de service et un co-interne de Benoît.
 
Début février, l’interne a également été le destinataire d’un avertissement signé par le directeur des affaires médicales, rapportant des « faits intervenus depuis [son] affectation qui caractérisent un comportement inacceptable allant contre l’intérêt du service », sans pour autant que ces faits qui lui sont reprochés soient mentionnés…
 
Des chefs de service soutenus par leur hiérarchie VS un interne soutenu par plusieurs de ses collègues. La situation paraît intenable, et l’ARS propose, pour sortir de l’impasse, que Benoît valide... un DES de chirurgie générale. La solution ne semble pas convaincre le Pr Halimi, qui souhaite – et c’est l’objectif de la demande qu’il a adressée à la ministre de l'Enseignement supérieur – l’exfiltrer vers l’AP-HP, où le professeur d'un service réputé est tout à fait disposé à le recevoir en surnombre, à partir de novembre 2019.

Interne radioactif

L’exfiltration pourrait également être la solution pour un second interne du CHU, cette fois-ci en radiologie. En 2015, il est épinglé pour une histoire de revente d’écrits d’ECN, à la suite de laquelle il est suspendu deux ans. Une sanction finalement ramenée à du sursis, mais après un an d’exclusion effective.
 
À son retour, Julien (1) est victime de sa réputation, et des rumeurs et accusations graves – dépassant le cadre hospitalier – sont formulées à son encontre. Il se retrouve isolé, et son stage n’est finalement pas validé, en raison d’un niveau jugé insuffisant.
 
Par la suite, en stage en dehors du CHU de Reims, malgré un déroulement apparemment sans encombre, il apprend que son chef de service rémois demande un rapport de ses faits et gestes. Il est une nouvelle fois accusé (puis innocenté) d’un incident intervenu au cours de l’une de ses gardes. Un autre stage visiblement très peu encadré aboutit sur un second refus de validation inattendu.
 
Bilan : un an de suspension rétrospectivement injustifiée (car requalifiée en sursis), et deux stages non validés. Julien, qui a donc perdu deux ans de formation, se retrouve, comme Benoît, dans une situation impossible.

Urgences hospitalières

D’après les rapports de l’Association Jean-Louis Mégnien sur le déroulé des faits, outre les rapports conflictuels au CHU de Reims, les deux internes semblent être les victimes d’un acharnement de la part de la direction administrative, pédagogique ou médicale du CHU. Celui-ci paraît flagrant au regard de leurs tentatives respectives infructueuse d’effectuer des stages loin des lieux d’affrontement. Et il y a urgence : ils montrent des signes forts de détresse psychologique, confirmés par le Pr Bernard Granger de l’hôpital Cochin (AP-HP), qui les a reçus. Ils rapportent des idées suicidaires.
 
Quelles que soient les raisons qui ont abouti à ces conflits, et même si des comportements des deux internes avaient pu mettre le feu aux poudres, la gestion des cas de Benoît et Julien semble tout à fait hors norme. Pour tenter de mettre un terme à ces situations dont l’issue semble impossible, la médiation nationale a été informée. Dans le courrier qu’il a adressé au ministère, le Pr Halimi signale également que « trois autres internes du CHU seraient en souffrance pour les mêmes raisons » ... Joint par What's up Doc, le CHU de Reims n'a pas donné suite à ce jour. 

(1) Le prénom a été modifié

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