L'empire décent

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Critique de "Empire of Light", de Sam Mendes (sortie le 1er mars 2023). Années 80 : Hilary, vieille fille solitaire et excentrique, gère une équipe de sympathiques bras cassés - et la confiserie - à l'Empire, cinéma défraîchi d'une station balnéaire anglaise, et qui connut jadis ses heures de gloire. L'arrivée de Stephen, jeune étudiant noir, dans l'équipe viendra la bouleverser à plusieurs niveaux.

L'empire décent

Un beau récit d'apprentissage et de consolation qui déborde d'amour pour ses personnages.

La décence, à la fois un sentiment et une démarche qui illustrent ce film simple, non pas d'esprit mais de coeur, comme celui si bien décrit par Flaubert. Sam Mendes ne cache pas la part autobiographique de son oeuvre, et a trouvé en Olivia Colman l'interprète idéale pour être à la hauteur de l'hommage qu'il voulait rendre à sa propre mère, atteinte comme Hilary de bipolarité. Elle compose effectivement une femme touchante en ce que l'on perçoit toujours en elle la même douleur, que ce soit lors de ses fureurs maniaques ou au travers de sa mélancolie. Douleur due autant à ses symptômes qu'à l'exclusion que sa maladie entraîne. Et c'est à travers la confrontation à une autre forme de rejet, à sa dimension politique, qu'elle va s'ouvrir, se redresser, pour peut-être repartir - et toute la beauté et toute la douleur sont dans ce "peut-être". 

"Empire of Light" se double d'un second hommage, à la fois plus visible par ses décors et plus souterrain par son cheminement, hommage au cinéma, à la fois art et, surtout, lieu et média. Lieu de possibles et de mystères, lieu menacé de constante disparition, déjà à l'époque - ce qui permet au film de ne pas sombrer dans la nostalgie, puisqu'il suggère que finalement tout survit ou renaît, le pire de l'Homme comme le meilleur. Médiation entre l'individuel et l'universel, également. La belle idée du film étant de décrire une cinéphilie "à l'envers", tardive, celle d'une femme qui s'interdisait d'entrer dans une salle de cinéma et qui va commencer à en découvrir le contenu après avoir accumulé des expériences de vie. Une cinéphilie consolatrice, en quelque sorte, qui se confronte à celle, ingénierique et édificatrice, d'un jeune homme aspirant à devenir architecte. La mise en scène constamment classique, la magnificence fantômatique de l'endroit, les scènes de projectionnisme sont des témoins de la sacralité attribuée au septième art bien plus que les films dont il est régulièrement question et que Mendes se refuse assez habilement à montrer. 

Ce classicisme peut constituer une limite formelle et narrative, son corollaire étant effectivement l'absence de surprise ou de transport véritables, qu'on aurait souhaité pourtant que le film procure. "Empire of Light" ne nous entraîne ainsi jamais "ailleurs" mais nous fait constamment rester avec ses personnages, auxquels il offre une dignité de façon contenue. Mais ce n'est pas pour autant que cet ailleurs n'existe pas: il commence, semble nous dire Mendes, juste après la séance. 

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