Le médecin vu par l'informaticien : des progrès, mais peut mieux faire

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Les médecins ont tendance à fonctionner dans une bulle qui les empêche d’entendre ce que les autres soignants ont à dire. C’est pourquoi What’s up Doc demande régulièrement à diverses catégories de professionnels de brosser le portrait des praticiens qu'ils côtoient. Dans ce numéro, ce sont les informaticiens qui tendent un miroir aux médecins.

Le médecin vu par l'informaticien : des progrès, mais peut mieux faire

« C’est à l’informatique de se plier aux besoins des médecins, et non l’inverse. » Ce refrain, les professionnels de l’informatique qui interviennent auprès des médecins le connaissent par cœur : les blouses blanches l’entonnent au moindre bug, à la moindre panne d’imprimante. Occupés qu’ils sont à sauver des vies, les émules d’Hippocrate n’ont que peu de temps à consacrer à la configuration du logiciel métier ou à la sécurisation du serveur mail ! De l’autre côté de l’écran, les disciples d’Alan Turing, l’inventeur de l’ordinateur, sont bien contraints de tout faire pour que les médecins soient aux petits soins... et ce n’est pas toujours facile.

Jusqu’aux années 2000, le service informatique était vu comme un service technique. Aujourd’hui, les médecins ont bien compris qu’il s’agit d’une fonction stratégique. 

Vincent Trély

Car très souvent, les médecins font preuve d’une connaissance toute relative des subtilités du monde de l’informatique. Ingénieur informaticien, technicien informatique, responsable informatique... c’est pour eux bonnet blanc et blanc bonnet. « Nous sommes souvent vus comme des technos qui branchent des câbles au fond d’une cave », sourit Vincent Trély, président de l’Association pour la sécurité des systèmes informatiques en santé (Apssis), qui a occupé les fonctions de directeur des systèmes d’information (DSI) dans divers hôpitaux.

L’IMPATIENCE EST UN VILAIN DÉFAUT

Les médecins ont également, d’après les informaticiens, tendance à vouloir que les choses aillent vite, voire très vite. « S’il fallait donner un défaut assez répandu chez les médecins que j’ai côtoyés, c’est une forme d’impatience », confirme Éric Fonteneau, bio-informaticien qui a longtemps travaillé avec des biologistes médicaux au CHU de Nantes et à la Pitié-Salpêtrière, avant de passer du côté des éditeurs de logiciels.

En caricaturant, bien des médecins aimeraient que pour faire fonctionner l’informatique médicale, il suffise de brancher les appareils et d’appuyer sur le bouton « Power ». Un peu comme si, pour soigner les patients, il suffisait d’écrire « Doliprane » sur une ordonnance.

Les médecins sont aussi perçus par les professionnels du numérique comme un tantinet près de leurs sous. Une caractéristique particulièrement saillante dans le monde libéral. « Beaucoup de médecins vont parfois vers le moins cher, sans forcément réaliser que certaines entreprises non spécialisées proposent des services qui ne correspondent pas entièrement aux exigences du secteur », regrette par exemple David Krumhorn, directeur marketing de DMP Informatique, une entreprise de dépannage et maintenance spécialisée dans l’assistance aux cabinets médicaux et dentaires.

Les médecins avec lesquels j’ai travaillé m’ont marqué par leur motivation, leur envie constante de faire mieux, d’aller plus vite vers des résultats plus fiables. 

Éric Fonteneau

Heureusement, les informaticiens constatent que les jeunes générations médicales comprennent mieux leurs contraintes. « Les nouveaux médecins se sont servis des ordinateurs très jeunes, et s’approprient beaucoup mieux les outils que ceux qui ont commencé à travailler avant les débuts de l’informatisation », constate Éric Fonteneau. Même remarque de la part de David Krumhorn. « À l’époque où la télétransmission a été lancée, en 1998, les médecins étaient très critiques vis-à-vis de ce qu’ils ressentaient comme une obligation de s’informatiser, se souvient-il. Maintenant, tous ont compris qu’il est dans l’intérêt des patients, et dans le leur, de travailler avec ces outils. »

Les médecins "digital native" sont plus à l’aise avec l’informatique, mais cela ne se vérifie pas systématiquement. Et ils ne sont pas forcément dans une démarche plus sécurisée : ce sont des consommateurs. 

Vincent Trély

SÉCURITÉ DES SOINS VS SÉCURITÉ DES SYSTÈMES

Reste un souci, qui semble malheureusement transcender les générations : celui de la sécurité. « Quand on dit aux médecins que pour accéder à un outil, il faut un identifiant qu’ils n’ont pas le droit de prêter, un mot de passe qui fait plus de 8 caractères et qui doit changer tous les 8 mois, les problèmes commencent », remarque Vincent Trély. Alors quand on met en place des postes de travail qui passent en veille automatiquement, avec réidentification obligatoire, les blouses blanches voient rouge. « Pour eux, c’est trop de contraintes », regrette le président de l’Apssis.

Les médecins traitent des données sensibles, et ils doivent comprendre qu’ils en sont responsables, aussi bien moralement que juridiquement.

David Krumhorn

Celui-ci remarque d’ailleurs que la crise sanitaire n’a rien arrangé. « Depuis mars, on utilise partout Zoom, Whatsapp, Teams », s’alarme Vincent Trély. Des outils bien pratiques, mais très vulnérables. « Et quand un responsable de la sécurité ose l’ouvrir, on lui dit qu’il est gentil mais que des gens meurent. » Il y a encore du chemin à faire pour rapprocher les logiques professionnelles des uns et des autres.

Les médecins regrettent parfois de ne pas avoir d’échanges plus fournis avec les services informatiques. Il faudrait qu’il y ait parfois davantage d’écoute de part et d’autre. 

David Krumhorn

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