
Valéria Bruni-Tedeschi dans L'attachement de Carine Tardieu.
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Après Les Jeunes Amants, Carine Tardieu confirme sa générosité sincère, sa grande délicatesse dans la description des sentiments et son goût pour la chronique.
Le film démarre fort. Un concentré d'acuité et d'émotions. Ce lien qui se noue sur quelques heures entre la généreuse Sandra, interprétée avec une sobriété incroyablement riche par une Valeria Bruni-Tedeschi qui n'a jamais été aussi émouvante, et le petit Elliott, lien marqué par un événement terrible mais aussi fondateur, est l’une des explorations les plus fines et les plus sensibles qu'il nous ait été donné de voir depuis bien longtemps. S'installe ainsi une atmosphère en clair-obscur un peu magique, propre à l'enfance, à l'image de cet instant qui précède l'endormissement, veilleuse allumée ou lumière à peine éteinte, quand les cartes se rebattent et font hésiter le sommeil entre rêve et cauchemar. C'est aussi la description d'une intimité qui se crée, sur un pas de porte, entre cette famille recomposée et endeuillée et cette héroïne du quotidien un peu archétypale. L'intimité, c'était le titre du livre d'Alice Ferney, que Carine Tardieu adapte. Il correspond parfaitement à cette première partie, de loin la plus réussie du film.
« Le film décrit aussi avec pertinence la façon dont le deuil peut être traversé par des relations de substitution »
Le problème, pas majeur mais tout de même, c'est que ces moments-là sont si impactants qu'on regrette peu à peu qu'ils laissent leur place à une chronique plus vaste, laissant apparaître des personnages qui, bien que réussis, nous sont moins attachants - justement - et nous éloignent de cette relation privilégiée. Sandra, saisie par un sentiment indéfinissable qu'elle finit par accepter, au point d'en conserver la pureté et l'unicité à tout prix, devient peu à peu l'observatrice, plus que l'actrice, de l'évolution de cette famille dans laquelle elle acquiert une place un peu singulière. Le focus se déplace sur la personne d'Alex, veuf paumé aussi sombre qu'attendrissant, se débattant dans sa peur de se confronter au sentiment de perte, répétant les mêmes erreurs, clairement décrites et nommées sans pour autant que Tardieu les juge à un quelconque instant, quand bien même certaines scènes (comme la façon dont il s'excuse auprès de la pédiatre de sa fille) dévoilent son narcissisme. Les mois passent, probablement trop vite, pour que tout soit constamment crédible. Choral, le film perd un peu en subtilité et en force. Il n'en reste pas moins touchant, dans sa façon de montrer comment certains liens arrivent à se créer par une force spontanée quand d'autres sont empêchés voire impossibles malgré les efforts. Les souffrances engendrées sont décrites avec une pudeur qui n'en exempte pas l'injustice voire la cruauté.
Au final, malgré un aspect parfois caricatural - Sandra est forcément propriétaire d'une librairie féministe - L'attachement convainc par la justesse des sentiments qu'il décrit, plus que des situations. Les personnages existent, sans que l'on sache grand chose d'eux, évoluant dans des décors que Tardieu filme à peine, comme pour mieux s'approcher de leur intériorité. Après Les enfants des autres et surtout Le roman de Jim, le film est une nouvelle occasion de célébrer ces liens créés par les circonstances, à la fois pas tout à fait mais, par là même, encore plus familiaux. Il décrit aussi avec pertinence la façon dont le deuil peut être traversé par des relations de substitution, comme si l'attachement secure constituait un recours vital à la perte de l'objet d'amour, voire de l'amour lui-même.