La disette de médecin nuit à la santé

Article Article

Le manque de médecins et d’infirmiers et infirmières impacte la santé des Français et Françaises. Si ces conséquences restent difficiles à chiffrer, pour autant elles commencent à se voir.

La disette de médecin nuit à la santé

Les pénuries médicales ne sont pas nouvelles, mais les prochaines années s’annoncent encore moins radieuses. À l’hôpital public par exemple, le manque de soignants a des conséquences sur le nombre de lits fermés mais aussi sur la qualité des soins. Déjà en 2014 The Lancet avait publié une étude à ce sujet. Les chercheurs mettaient alors en évidence que le risque de mortalité augmentait à partir de 7 patients par personnel infirmier. En d’autres termes, au-delà de 6 personnes à gérer en simultané, les soins ne sont plus optimum. Chaque patient supplémentaire augmente de 7 % le risque de mortalité de l’ensemble des personnes hospitalisées. 

Et pourtant : « Dans nos hôpitaux, il n’est pas rare qu’une infirmière doive s’occuper de 16 patients en journée, voire 24 la nuit », expliquait Véronique Hentgen du Collectif Inter-Hôpitaux devant la commission du Sénat en décembre 2021. Même analyse du côté de la HAS. « Ces pénuries compromettent inévitablement la qualité des soins et des accompagnements », expliquait la HAS dans une lettre ouverte publiée en mars dernier.

« Il va falloir à un moment donné une politique de santé ambitieuse pour définir les besoins en santé. »

« Là où il y a des postes vacants, il y a des pertes de chances pour la population locale, souligne Caroline De Pauw, sociologue de la santé et directrice de l’URPS Haut-de-France Médecins. On tourne cette question dans tous les sens mais si l’on veut faire baisser la mortalité prématurée évitable, il va falloir à un moment donné une politique de santé ambitieuse pour définir les besoins en santé. »

D’autant plus que « sur du long terme, c’est à dire plus de 10 ans, les études scientifiques ont démontré que l’investissement en santé, c’est-à-dire en ressource humaine, se traduit par une baisse de la mortalité et une population en meilleure santé », ajoute Julien Mousques, directeur de recherches à l’IRDES et économiste.

Dans le détail, si ces pénuries impactent l’ensemble de la population, les personnes vulnérables et âgées restent les premières touchées, notamment les plus de 60 ans qui vivent en zone rurale, explique la Caisse des dépôts dans une étude publiée en mai sur les disparités territoriales en matière de vieillissement et d’accès aux soins. S’ajoutent ensuite les obstacles liés aux ressources financières.« Quand vous avez affaire à des personnes qui sont en perte d'autonomie, âgées, isolées, et qui n'appartiennent pas au décile supérieur des revenus, évidemment la faiblesse, les défauts ou les manques que l'on constate en termes d'offre de soins sont d'autant plus sensibles, résume Michel Yahiel, directeur des Politiques sociales de la Caisse des dépôts. Il y a une sorte de concentration des difficultés ».

« Vivre dans une zone où les difficultés d’accessibilité aux soins sont importantes multiplie le risque de renoncement par 1,8 »

La faible densité médicale est en effet un facteur aggravant pour les personnes pauvres, explique la DRESS. « Parmi les personnes qui ont renoncé à des soins, 6,9 % vivent dans une zone très sous-dotée en médecins généralistes (moins de 2 consultations accessibles par an et par habitant en moyenne) contre 4,4 % de celles ayant consulté autant que nécessaire. Toutes choses égales par ailleurs, vivre dans une zone où les difficultés d’accessibilité aux soins sont importantes multiplie le risque de renoncement par 1,8 » expose la DRESS dans une étude datant de juillet 2021. Cela s’explique en partie par des rigidités professionnelles plus fortes pour les personnes précaires, auxquelles s’ajoute un éloignement des soins qui peut occasionner des coûts trop importants. « Les plus précaires n’ont pas de moyen de compensation comme peuvent avoir les CSP+ », ajoute Caroline De Pauw. 

De fait, sur la prise en charge des AVC par exemple, les chances ne sont pas les mêmes. « La probabilité qu’un AVC entraîne une paralysie est 22 % plus élevée chez [les personnes précaires] que chez les plus aisés », souligne la DRESS dans une étude datant de février 2022. 

Enfin, cette pénurie médicale impacte la prise en charge de manière globale via l’organisation des soins, avec des conséquences sur la santé publique. « Une personne qui ne va pas trouver de spécialiste va se tourner vers son généraliste, souligne Caroline De Pauw. Ce généraliste n’a pas forcément la bonne formation, et si le ou la patiente n’a pas de généraliste cette personne peut décider de renoncer aux soins ou se tourner vers les urgences. » 

De fait, ces deux situations peuvent déboucher sur des complications médicales ; ce qui augmente, in fine, le taux de mortalité évitable. 

Sources :

Les Disparités territoriales en matière de vieillissement et d’accès aux soins, Nathalie Chataigner et Clémence Darrigade, Caisse des Dépôts, mai 2022

« Personnes âgées : l'accès à une offre libérale de soins infirmiers meilleur dans les communes où le revenu médian est plus faible », APM News, 12 mai 2022

Lettre ouverte du Collège de la HAS à tous ceux qui œuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements, mars 2022

France Info, « Hôpital : « Il nous manque 8 % d’infirmières », alerte Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP », avril 2022 

Allain, S., Naouri, D., de Peretti, C. « En France, les AVC sont plus fréquents, plus graves et moins souvent pris en charge en unité spécialisée pour les personnes les plus modestes ». DREES, Études et Résultats, 1219 février 2022

« Renoncement aux soins : la faible densité médicale est un facteur aggravant pour les personnes pauvres », DRESS, juillet 2021

« "Des départs massifs de soignants" : la commission d’enquête du Sénat face à la déliquescence de l’hôpital », Public Sénat, décembre 2021

Nurse staffing and education and hospital mortality in nine European countries: a retrospective observational study, The Lancet, février 2014

 

Les gros dossiers

+ De gros dossiers