Une troisième voie pour améliorer le système de santé français ?

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Malgré une crise sanitaire qui n’en finit pas, le thème de la santé peine à s’imposer dans une campagne électorale engluée dans des problématiques identitaires et sécuritaires. Les sondages structurels (non électoraux) mettent pourtant la santé au premier rang des préoccupations des Français – selon le baromètre CSA en 2020, dès 2016 selon le baromètre BVA.

Une troisième voie pour améliorer le système de santé français ?

Afin d’éclairer et de susciter le débat, le CES (Collège des économistes de la santé) vient de publier un ouvrage collectif intitulé Le système de santé français aujourd’hui. Enjeux et défis (éditions ESKA). Cet ouvrage réunit 30 contributeurs, économistes de la santé français, et ambitionne d’analyser les principaux défis auxquels notre système de santé fait face.

De façon dépassionnée, et sur la base d’une littérature académique nationale et internationale, le Collège tente également de proposer des pistes de recommandations pour rendre le système plus efficient et plus juste. Ces solutions contribueraient à renforcer un modèle original dans le paysage mondial, représentant une forme de troisième voie, ni étatique, ni privatisé, avec la juste balance qui semblait caractériser le système de santé français jusqu’ici.

La pandémie : révélatrice des insuffisances du système de santé français

La pandémie de Covid-19 a souligné, parfois avec cruauté, certaines insuffisances de notre système. Elle a d’abord mis en lumière l’absence d’une stratégie territorialisée de gestion du risque sanitaire et l’incapacité de prendre des décisions adaptées à un niveau infranational.

La crise exacerbe la rigidité d’un système de soins trop centralisé, spécialiste de la prise en charge de malades chroniques à l’hôpital public et sous-équipé, sous-entraîné pour une « course de fond ». Elle jette aussi le doute sur la médecine libérale, qui finalement a très peu participé à la réponse sanitaire.

Mais la pandémie a aussi révélé une véritable capacité d’adaptation des professionnels de santé, à l’hôpital et en ville, et des industriels pharmaceutiques : les processus d’innovation thérapeutique et technologique ont été accéléré, avec le succès constaté d’une production de vaccins à l’échelle internationale, bien que la distribution effective de ces vaccins dans les pays du Sud reste encore à réaliser.

Les défis sont donc de taille et préexistaient bien avant les premières manifestations de cette pandémie. Y figurent en bonne place : l’accès aux soins primaires sur tout le territoire, le manque de coordination entre médecine de ville et hôpital, d’une part, et entre acteurs du soin et de la sphère médico-sociale, d’autre part ; le déficit de prévention et le délaissement relatif de la santé publique (comparé à d’autres pays) ; les inégalités sociales de santé et d’accès aux soins ou encore la surconsommation de tabac et d’alcool.

Quelles recommandations ?

Les contributeurs de l’ouvrage ciblent sept grands chantiers :

  • Repenser l’organisation du financement des dépenses de santé,

  • Améliorer la couverture du risque santé et du risque dépendance,

  • Réorganiser en profondeur l’offre de soins,

  • Développer les systèmes d’information en santé,

  • Réfléchir au budget à consacrer à l’innovation médicale,

  • Définir une stratégie de santé publique plus ambitieuse et plus systémique,

  • Accroître la place de l’évaluation (médico-) économique dans les décisions en santé.

Tout d’abord, l’organisation du financement des dépenses de santé devrait être repensée et décentralisée. Repensée dans une logique plus inclusive et moins segmentée des différents sous-objectifs nationaux des dépenses d’assurance maladie (soins de ville, établissements de santé…) ; décentralisée en vue d’une organisation des soins et d’une définition ex ante du budget tenant compte des besoins de la population locale.

Les périmètres respectifs des paniers de soins couverts d’une part par l’Assurance maladie obligatoire, d’autre part par les organismes complémentaires doivent être redéfinis afin que ces derniers ne couvrent pas les mêmes soins que l’assurance publique et que soient réduits les frais de gestion. On parle de « grande sécu »… Au minimum, les complémentaires santé devraient évoluer vers des assurances dites plutôt « supplémentaires », agissant sur un panier de soins privés restreint et surtout distinct du panier de soins publics.

Par ailleurs, le système de financement de la dépendance pourrait relever d’une logique assurantielle clairement établie, couvrant le risque-dépendance selon son niveau de sévérité, mais indépendamment du niveau de l’aide informelle reçue dans l’environnement familial et du mode de prise en charge choisi.

Il importe également de continuer à réduire les barrières financières qui subsistent pour l’accès aux soins de spécialistes, aux soins dentaires et d’optique et également aux soins préventifs.

L’objectif de réduction des inégalités sociales de santé nécessite de mener une politique publique ambitieuse, globale et coordonnée, pour faire face aux déterminants multiples de ces inégalités dont certains interviennent tôt dans les itinéraires personnels (éducation, revenu, épisodes de précarité, conditions de travail, recours au dépistage, comportements à risque, accès aux soins, etc.).

Réorganiser l’offre de soins sur plusieurs volets

Concernant le système de paiement tout d’abord. Celui des médecins reste massivement fondé sur le paiement à l’acte. Des systèmes de paiement au forfait liés à la qualité des soins ou au suivi des patients pourraient être généralisés dans tous les secteurs (hôpital, en ville, en médico-social).

Le développement de nouveaux modes de rémunération plus coopératifs, comme des paiements forfaitaires collectifs associant la ville et l’établissement de santé, devrait être renforcé. Ils accompagnent en effet une meilleure coordination entre la ville et l’hôpital et correspondent davantage au développement des nouvelles pratiques, notamment celles aujourd’hui permises par la télémédecine.

La lutte contre les zones sous-dotées ensuite. La suppression récente du numerus clausus et l’arrivée de médecins formés à l’étranger qui s’installent (parfois) dans les zones difficiles sont des outils potentiels d’amélioration de l’accessibilité aux soins à saisir. Toutefois, il importe de développer encore les connaissances, à la fois sur les déterminants des choix d’installation des médecins formés dans les universités françaises, mais également sur les logiques d’installation et de maintien des médecins étrangers dans les zones sous-denses.

Des incitations financières existent depuis de nombreuses années, mais ne semblent pas avoir eu d’influence réelle sur les installations dans les zones prioritaires. L’ouvrage questionne la mise en place de mesures incitatives améliorant l’attractivité des zones sous-denses, monétaires et non-monétaires (accompagnement au développement de modes d’exercice en groupe pluriprofessionnel, coopération entre professionnels de santé notamment entre généraliste et infirmiers).

Le développement des systèmes d’information en santé (à l’hôpital, en ville et à leur intersection) constitue également un enjeu fort. Deux leviers sont notamment proposés : le développement d’un système d’information en médecine de ville, comparable à celui à l’hôpital, et la mise en place d’un large éventail d’indicateurs de qualité relatifs à l’ensemble des soins (dans le secteur hospitalier, médico-social et ambulatoire) et non plus uniquement centrés sur le processus de soins hospitaliers.

Il importe de généraliser l’utilisation du dossier médical partagé et aussi la collecte de résultats de santé et d’expériences rapportées par les patients, pour que les professionnels de santé soient sensibilisés à l’importance d’utiliser de telles mesures et en tirent le meilleur parti, sans crispations négatives.

Mieux évaluer pour mieux exploiter l’innovation médicale

De façon générale, elle est susceptible de modifier en profondeur l’organisation de notre système de santé (accès aux soins, télémédecine, dispositifs de e-santé).

Trois types d’innovations sont analysées dans l’ouvrage : la médecine génomique, l’e-santé et les médicaments innovants. Le rôle des économistes est de proposer des méthodologies permettant d’évaluer ces innovations. Il semble ainsi souhaitable de développer des analyses fondées sur les préférences sociétales et de recourir plus fréquemment à l’évaluation médico-économique, par exemple pour définir une valeur de référence à comparer au prix demandé par les industriels, particulièrement les nouveaux entrants du secteur, venant du numérique, qui pourraient parfois avoir tendance à surestimer la plus-value médicale de leurs produits.

Sur un autre sujet, les dispositifs expérimentaux, visant à réduire les inégalités sociales de santé, à améliorer la répartition des médecins sur le territoire ou à accroître les comportements de prévention, sont actuellement insuffisamment développés.

Enfin, mobiliser de façon plus systématique l’évaluation économique et médico-économique comme outil d’aide à la décision en santé est un des messages clés de cet ouvrage. Le recours plus systématique à des méthodes d’évaluation des politiques ou interventions publiques de santé permettrait d’évaluer leur effet causal, par exemple dans le cadre d’essais randomisés, et de promouvoir les dépenses de santé efficientes.

Une fois encore, ces solutions contribueraient à renforcer un modèle hybride, ni étatique, ni privatisé, qui fait l’originalité du système de santé français de par le monde.

The Conversation

Thomas Barnay, Professeur de sciences économiques (en disponibilité) / Visiting Professor, Département Health Care Policy, Harvard Medical School and French Harkness Fellow in Health Care Policy and Practice (The Commonwealth Fund) (2021-2022), Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Bruno Ventelou, Chercheur CNRS-AMSE, économie, santé publique,, Aix-Marseille Université (AMU) et Samson Anne Laure, Professeur d'économie, Université de Lille


Déclaration d’intérêts

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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