Des mères à vif - Critique de « Jeunes mères », de Luc et Jean-Pierre Dardenne

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Dans une maison maternelle en Belgique, le destin et le portrait croisés de quatre adolescentes, mères ou sur le point de l'être. 

Des mères à vif - Critique de « Jeunes mères », de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Jeunes mères de Luc et Jean-Pierre Dardenne.

Tout juste auréolé du prix du scénario à Cannes, le dernier film des Dardenne suscite des sentiments mitigés : la reconnaissance de leur talent intact à capter des trajectoires individuelles dans leur dimension sociale, sans que celle-ci ne sacrifie jamais leur caractère fictionnel, et les limites d'une méthode, habituelle, et d'un dispositif choral, nouveau.

Jessica va bientôt accoucher. Espérant trouver des réponses à ses questionnements et ne pas reproduire un scénario à valeur de malédiction, elle suit quotidiennement la femme qui l'a abandonnée à la naissance, mais la distance de celle-ci ne fait que réveiller des abréactions d'abandon et des moments dissociatifs. Julie voudrait contrer la fatalité de la rechute toxicomaniaque en démarrant une vie de famille avec son jeune conjoint et leur bébé. Ariane tente de s'affirmer face à une mère dysfonctionnelle qui voudrait que la naissance de sa petite-fille serve de remède ou de substitut à sa dépendance à son conjoint. Perla, elle, essaie de se convaincre que le père de son bébé, ado qui se désintéresse totalement d'elle, finira par s'impliquer dans son nouveau statut et dans leur couple. Les frères Dardenne narrent avec une impressionnante acuité, assortie cette fois, portrait groupé oblige, d'un remarquable don pour la synthèse, ces quatre histoires prises sur le vif de quatre jeunes filles aux prises avec un déterminisme social, qui se croisent et parfois se soutiennent au sein de cette maison maternelle qu'ils semblent avoir voulu mettre au coeur de leur dispositif.

La remise du prix du scénario à Cannes, dont les frères Dardenne ne partent presque jamais bredouilles, parait  incompréhensible

D'où nous vient, alors, cette tiédeur à la sortie du film, et sa persistance à distance ? Peut-être qu'en raison de la superposition de ces quatre histoires, le point de rencontre que constitue l'établissement d'accueil, censé constituer la force du film, en devient son point faible. Pas assez exploré dans son fonctionnement, son utilitarisme de ressort scénaristique en devient trop voyante. La remise du prix du scénario à Cannes, dont ils ne repartent presque jamais bredouilles, est d'autant moins compréhensible que, s'il avait fallu que le jury sorte obligatoirement un prix de sa boîte à outils, celui-ci était loin d'être le plus indiqué.

L'on pourrait conclure que le film a le défaut de ses qualités. En choisissant de se concentrer non plus sur une situation mais quatre, les Dardenne prenaient le risque de la surcharge dramatique. C'est en partie vrai, car le film n'est pas exempt d'un effet d'accumulation, renforcé par la disparition rapide - au montage? - d’une cinquième protagoniste. Pourtant, chaque histoire existe et intéresse, portée par des actrices au jeu fort différent mais constamment fort. Et juste. Et l'on se dit que chacune aurait mérité son propre film, en tout cas un approfondissement, ou une centration. 

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Comme leur aînée Rosetta - leur mère, pourrait-on dire - qui avait si incroyablement installé le cinéma des frères dans le paysage mondial, au point que l'ombre bienveillante d'Emilie Dequenne, disparue cette année, plane encore sur le festival, autant que sur le film.

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