Témoignage : j'étais médecin anapath, je suis devenue aide-soignante

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Lucie est médecin en anapath. En cette période de crise sanitaire et d'épidémie #covid19, elle a choisi de devenir aide-soignante dans un service de réanimation de l’AP-HP.

Témoignage : j'étais médecin anapath, je suis devenue aide-soignante

"Avant cette période de confinement, je m’interrogeais déjà sur ma vie professionnelle. Après mes études de médecine, j’ai voulu être pédiatre. C’est mon pédiatre qui m’a donné cette vocation. Puis je me suis orientée vers l’anapath, spécialité médicale que je suis fière d’avoir choisi à l’internat. Internat en service public, assistanat en Centre de Lutte contre le Cancer, et post-internat en labo privé. J’avais besoin de voir pour choisir quelles imperfections du système me conviendraient le mieux. Toutes ces façons de travailler m’ont toujours poussée à m’interroger. A l’hôpital et en CLCC, la lourdeur des procédures me donnait parfois l’impression de ne pas avancer. J’avais l’impression de devoir parfois faire du zèle. En labo privé, le nombre d’analyses demandées était vertigineux. Le rythme difficilement soutenable. Il fallait penser aussi vite qu’une machine. Je ne compte plus le nombre d’analyses, que l’on y fait. Des analyses parfois sans intérêt mais que l’on facture 120 euros pour deux minutes de travail. Dans ce laboratoire, derrière mon microscope, je devenais la machine esclave de la cash-machine. Éthiquement ça m’a posé un vrai problème. J’essayais de travailler avec le maximum d’intégrité. Mais cela était parfois difficile. D’autant plus que même après le début du confinement, on a continué à recevoir des examens non-urgents et non-essentiels. A ce moment-là, j’ai demandé à ma hiérarchie si, dans ce contexte, et devant -malgré tout- la diminution d’activité, je pouvais me rendre utile ailleurs. Cette demande a été acceptée et accueillie avec beaucoup de compréhension et de bienveillance, et d’encouragements.

« Ma place comme médecin n’était pas derrière un microscope à faire du chiffre, mais auprès de patients » 

Dans ma vie personnelle, ça a aussi été une période un peu compliquée. J’ai perdu une connaissance d’un cancer du pancréas. Je l’ai accompagnée dans ces derniers jours pour lui permettre de mieux vivre cette période très difficile. A ce moment-là, tout est devenu limpide pour moi. Ma place comme médecin n’était pas derrière un microscope à faire du chiffre, mais auprès de patients. Et j’ai commencé à rêver de la médecine de soins palliatifs.
Sauf que je ne savais pas préparer de seringue de noradrénaline, je ne suis pas médecin réanimateur. Du coup, je me suis proposée comme aide-soignante pour venir en aide en réa covid. C’était le boulot de ma mère d’ailleurs. Aide-soignante. A travers ce travail, je voulais me rapprocher de mon serment d’Hippocrate. Cela a été une renaissance. Je me suis sentie utile. Moins reconnue mais utile.
Quand je suis arrivée en réa covid, je ne savais rien faire. Dans cette pièce où les patients luttent dans leur corps, nous devons faire attention à tout et la moindre erreur peut avoir des conséquences dramatiques. C’est peut-être leurs derniers instants. Comme pour chacun de nous d’ailleurs. Impossible alors de faire une erreur. D’autant plus que je me suis rendue compte que du haut de ma médecine, je ne connaissais pas grand-chose. Les équipes en place hyper-accueillantes, m’ont formée, accompagnée et épaulée pendant toutes ces journées. Je ne comprends pas, d’ailleurs, comment on peut payer si peu des soignantes. Ma formation a duré 12 heures, puis j’ai été postée en nuit. Et alors que les équipes alternent trois nuits puis repos, nous on nous ménage. Je ne fais que deux nuits avant d’être en repos. Par mois, cela fait 12 nuits de 12 heures chacune.

« Travailler en réanimation comme aide-soignante m’a fait comprendre que peut-être, pour moi, il y avait une place ailleurs que dans un laboratoire »

Les mains dans les gants, j’ai alors commencé à travailler comme aide-soignante. En réanimation pure, les patients intubés sont lavés en début de soirée. On les soulève à deux pour les laver. C’est assez physique, mais on y arrive. Puis, nous nous occupons des soins. On enlève les crottes des yeux, du nez, on aspire la salive… On est là pour leur apporter un peu de confort pour qu’ils soient le mieux possible pendant que leur corps lutte contre ce virus. 
Pour moi, ce qui est le plus difficile c’est de voir les patients réveillés, attachés et qui paniquent. Ils nous cherchent du regard, ils ont l’air perdu, terrorisé. La seule chose que l’on peut faire à ce moment-là, c’est tenter de les rassurer. 
Et d’autres, plus calmes, arrivent à puiser assez de forces pour nous offrir un sourire. Un de ces sourires qui font parfois pleurer. J’ai même entendu le plus beau des applaudissements qu’il m’ait été donné d’entendre, il était silencieux celui-là. L’homme intubé m’a fait signe de venir avec l’infirmière près de lui, puis de ses bras attachés, il a fait mine d’applaudir. Cet applaudissement là, tout silencieux qu’il était, résonnera toujours en moi. Et puis, avec le temps, ils finissent par sortir de réanimation. Et ça, c’est un sacré soulagement ! C’est une victoire à chaque patient qui retourne chez lui. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens utile. Je comprends mieux pourquoi j’ai voulu faire médecine. Travailler en réanimation comme aide-soignante m’a fait comprendre que peut-être, pour moi, il y avait une place ailleurs que dans un laboratoire. Plus près des patients comme en soins palliatifs par exemple. J’adore ma spé et je n’ai aucun regret à l’avoir choisie. Les cellules m’ont beaucoup appris sur la vie. Mais aujourd’hui j’ai changé un peu de direction.

« Il va falloir que je décide ce que je veux faire de ma vie »

A travers ces nuits, j’ai aussi découvert une incroyable solidarité entre les équipes, une bienveillance, une écoute… C’est assez incroyable ! Sans parler des repas que l’on a. Des plateaux et des plateaux. De très bon repas parce que tout le monde veut nous faire plaisir. Sauf qu’aujourd’hui, on en a trop et on en jette. C’est assez fou, mais voilà, on jette des plateaux à 20 € pièce. Quant à la suite…  On verra. L'hôpital dans lequel je travaille me demande de rester parce qu’ils ont encore besoin de moi. Peut-être que j’y resterai jusqu’à la fin de l’été comme aide-soignante. En tout cas j’y suis bien. Mais après, il va falloir que je décide ce que je vais faire de ma vie."

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