« Si l’état continue comme ça, dans 4 ou 5 ans, il n’y aura plus de médecins libéraux »

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Médecins pour demain, est né en septembre 2022 sur Facebook, face au malaise des médecins libéraux. Son fer de lance : la revalorisation de la consult’ à 50 euros. Mouvement suivi par 15 000 personnes, il était partie prenante dans la grève des 1er et 2 décembre dernier. Julien Sibour, médecin généraliste, un des représentant du mouvement médecin pour demain nous éclaire sur leurs revendications.

« Si l’état continue comme ça, dans 4 ou 5 ans, il n’y aura plus de médecins libéraux »

Julien Sibour, médecin généraliste, un des représentant du mouvement médecin pour demain nous éclaire sur leurs revendications.

What's up doc : Comment est né ce mouvement ?

Julien Sibour : C’est parti d’une colère des médecins libéraux du terrain par rapport aux dégradations des conditions de travail et aux futures mesures du PLFSS qui était annoncées. L’audience du groupe sur Facebook a explosé suite au plan de financement de la sécurité sociale et aussi aux propositions du CLIO sur la délégation de tâches.

En quoi les accords du CLIO vont contre vos revendications ?

J S. : Cela fait 30 ans que nous demandons une délégation des tâches administratives. Là on nous parle d’une délégation des tâches médicales. Ils se targuent de laisser le médecin au centre du diagnostic mais en lisant entre les lignes, nous voyons bien que les médecins vont s’occuper des pathologies complexes, vont coordonner les paramédicaux. Ils veulent soustraire les médecins des actes qualifiés de bénins. Or nous avons vu récemment des morts pour des angines aux streptocoques. C’est au médecin d’indiquer si la pathologie est bégnine ou pas. C’est une vraie perte de chance pour le patient. Aujourd’hui dans la formation des IPA il y a 6 mois de stage en libéral alors qu’un médecin fait quand même 10 ans d’études. Pour les patients ce n’est pas acceptable.

Lors de la grève des 1er et 2 décembre, beaucoup ont fermé leur cabinet mais peu se sont mobilisés dans la rue. Ce n’était pas très visible au regard d’autres manifestations, qu’en pensez-vous ?

J S. : Il faut savoir que nous voulions la fermeture des cabinets. Les sondages indiquent que 70 % des cabinets étaient fermés. Les manifestations locales regroupaient quand même 300 médecins et environ 1 000 à Paris. Mais ce n’était pas le but premier. La mobilisation a été importante comme en témoigne la grosse tension aux urgences ces jours-là. D’habitude elles sont à flux tendu, mais là elles étaient au bord du craquage. Nous avons voulu les préserver en ne faisant que 2 jours de grève. 

Quel a été le résultat de cette grève ?

J S. : Au niveau local, nous avons été reçus par les caisses primaires d’assurance maladie, les conseils de l’Ordre. Le ministre de la Santé a évoqué la possibilité de nous recevoir. Nous sommes allés aux négociations conventionnelles.

Le mouvement est pris au sérieux. Le but était de faire une ation courte sur deux jours pour montrer que les médecins libéraux étaient à bout.  

Des régions se sont plus mobilisées que d’autres ?

J S. : En île de France et dans le sud de la France, les médecins se sont beaucoup mobilisés. Dans le centre aussi, mais il y a peu de médecins donc la mobilisation est forcément moins importante.

Au niveau national, nous sommes vraiment satisfaits.

Quelles sont vos revendications ?

J S. : Le mouvement s’est construit autour des honoraires des médecins libéraux, avec la consultation de base à 50 euros, remboursée par la sécu. Nous sommes aussi opposés à l’ensemble des mesures coercitives proposées par le PLFSS, à la quatrième année pour les internes, au transfert de compétence tel qu’il a été proposé par les ordres des professionnels de santé. Nous sommes également contre les forfaits d’assurance maladie :  structure et la Rops. Nous aimerions les voir disparaître et que leur fond soit utilisé pour mettre la consultation à 50 euros.

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Ce sera 50 euros ou rien, une revalorisation à 30 ou 40 euros ne vous intéresse pas ?

J S. : 30 euros c’est juste le rattrapage de l’inflation, ce n’est pas entendable. Les négociations sont en cours, il y a encore du temps. Il faut qu’on rencontre le ministre de la Santé, que les syndicats rencontrent la sécurité sociale. Nous réclamons 50 euros, après nous verrons lors des négociations.

Vous avez mis en avant cette revendication financière, certains médecins préfèrent insister sur les conditions de travail ?  

J S. : Oui, c’est notre argument clé. La question tarifaire est au centre car les jeunes ne s’installent plus, en partie à cause de cela. Après c’est l’arbre qui cache la forêt, bien sûr les conditions de travail se sont dégradées au fil des ans. L’administratif grossit de plus en plus.

Aujourd’hui, nous voyons l’émergence de Mon espace santé, que nous devons remplir gracieusement. Là aussi c’est encore plus chronophage.  On nous demande de changer de logiciel, les patients sont de plus en plus procéduriers. Les établissements scolaires nous demandent de fournir des certificats inutiles, les établissements sportifs font de même. Aujourd’hui nous sommes complétement harassés par l’administratif. Nombre de nos confrères sont en burn-out, font des horaires à rallonge avec une moyenne de 55 heures par semaine car plus personnes ne veut s’installer.

Que diriez-vous à ceux qui estiment que les médecins gagnent bien leur vie, et font partie des 5% des Français les plus riches ?  

J S. : Nous nous battons pour nos patients. Sur 25 euros de consultation, un médecin généraliste gagne 10 euros net. Être médecin, c’est 10 ans d’étude. Ce sont des responsabilités médicales extrêmement importantes. Si on ne revalorise pas les honoraires, ce sont des métiers qui vont être désertés. 50 euros remboursés pour la consultation, c’est le prix juste. On se bat pour que les médecins restent conventionnés. Avec ce que veut faire le gouvernement, les médecins se déconventionnent ou partent à l’étranger. Nous nous battons contre une médecine à deux vitesses, avec d’un côté un secteur privé accessible mais payant, et le public où plus personne ne veut travailler comme en Angleterre. Nous voulons un accès équitable aux soins.

Comment voyez-vous le futur ?

J S. : Cette grève va reprendre le 26 décembre et sera reconduite si nous ne sommes pas entendus. D’autres actions vont être menées dans les prochaines semaines. Nous espérons voir le ministre de la Santé et continuer à travailler avec les syndicats. Ce qui est certain, si l’état continue dans ce sens, dans 4-5 ans il n’y aura plus de médecins libéraux.

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