Pour décarboner le secteur de la santé, les industriels doivent faire leur part !

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Les achats de médicaments et de dispositifs médicaux constituent la plus grande part de l’empreinte carbone du secteur de la santé. Rien ne pourra donc évoluer si l’industrie n’y met pas du sien.

 

Pour décarboner le secteur de la santé, les industriels doivent faire leur part !

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50 %. C’est ce que représentent, parmi les émissions carbone du secteur de la santé, les deux postes les plus importants : les achats de médicaments et de dispositifs médicaux1. Les médecins auront donc beau faire attention à bien éteindre leur ordi en quittant l’hôpital, ils auront beau faire tous les efforts possibles pour améliorer la gestion des déchets dans leur cabinet, rien ne vaudra la contribution à la lutte contre le réchauffement climatique qu’ils peuvent apporter en jouant de l’ordonnancier. Reste que la chose est plus facile à dire qu’à faire, car elle suppose de faire bouger rien de moins que l’industrie pharmaceutique dans son ensemble.

Mais avant d’agir, il faut comprendre pourquoi les produits de santé sont si émetteurs. « Cela dépend des produits, répond Laurie Marrauld, maîtresse de conférences à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et cheffe de projet santé au Shift Project, le fameux think tank qui veut décarboner l’économie française. Dans certains cas, par exemple pour les antiviraux, c’est la production du principe actif qui représentera 80 % des émissions. Pour d’autres, comme certains gaz anesthésiants, c’est l’utilisation. » Et la liste des coupables est longue : on peut penser au conditionnement, au transport, à la surconsommation de plastique, etc., qui contribuent, chacun à leur niveau, à noircir le bilan carbone de l’industrie.

Dans certains cas, le problème est facile à identifier… et la solution aussi. « La Ventoline […], aérosol le plus prescrit en France, a une empreinte carbone d’environ 28 kgCO2eq par dispositif. Cela équivaut, en termes d’émissions, à un trajet de 245 km dans une voiture récente de taille moyenne », peut-on par exemple lire dans une étude publiée en 2022 une équipe de chercheurs marseillais menée par l’interniste Benjamin de Sainte Marie2. Or il existe une alternative, les inhalateurs à poudre sèche, qui ont « une empreinte carbone inférieure à 2 kg/dispositif », et qui peut remplacer la Ventoline et ses équivalents dans de nombreuses situations cliniques.

Plongée dans la boîte noire

Malheureusement, les situations où l’on connaît exactement l’empreinte carbone d’un produit pharmaceutique donné ne sont pas si nombreuses, et celles où l’on dispose d’une alternative connue le sont encore moins. « Le problème, c’est qu’on a des processus de production qui sont pensés pour l’efficacité finale, et que les industriels ne les conçoivent pas pour qu’ils soient regardés dans le détail, explique Laurie Marrauld. Ce qui se passe dans la boîte noire, tant que la réglementation est respectée, cela ne les regarde pas tant que cela. On va donc avoir du mal à aller chercher de la donnée, mais on n’a pas beaucoup d’autres solutions. » Car si l’on sait que le bilan carbone de la santé est constitué pour moitié de médicaments et de dispositifs médicaux, ce n’est qu’une approximation qui elle doit être affinée pour passer à l’action.

Alors, les industriels ont-ils décidé d’agir ? Il faut croire que oui, du moins dans les discours. En juillet 2023, le Leem (Les entreprises du médicament, la fédération qui rassemble les laboratoires) a annoncé s’engager « sur une trajectoire de décarbonation et de sortie des emballages en plastique à usage unique ». Le Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (Snitem, équivalent du Leem pour les dispositifs médicaux), a de son côté annoncé travailler à la création d’un « éco-score ». « L’objectif : permettre un achat plus responsable des dispositifs médicaux à l’aide d’un outil qui guidera les acheteurs hospitaliers et indiquera aux entreprises du dispositif médical ce qui est attendu d’eux », pouvait-on lire dans Snitem Info, l’organe du syndicat, fin 2023.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/la-sobriete-medicamenteuse-comment-faire-bon-usage-des-medicaments

Reste à savoir si les belles paroles de l’industrie se traduiront dans les actes… et si les efforts seront suffisamment rapides. Car connaître l’empreinte carbone d’un produit n’est qu’une première étape avant d’en réduire la taille, ou de lui trouver une alternative, ce qui dans les deux cas prend du temps. Mais Laurie Marrauld veut voir le bon côté des choses. « On a des institutions publiques, des professionnels de santé, des chercheurs qui se mobilisent pour dire aux industriels qu’on a besoin de visibilité », se félicite-t-elle. Il va pourtant falloir que les labos accélèrent s’ils veulent aller plus vite que l’horloge climatique.

 

Notes

1 The Shift Project, Décarboner la santé pour soigner durablement, avril 2023

2 B. de Sainte Marie et al, "Intégrer la notion d’impact carbone dans nos prescriptions : l’exemple des traitements inhalateurs", in La Revue de Médecine Interne, décembre 2022

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