« Nous avons réalisé que nos patients avaient du mal à comprendre les ordonnances qu’on leur remettait. Nous avons décidé de créer Idéordo »

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Idéordo est une initiative de jeunes médecins du Samu Social, confrontés à la difficulté de leurs patients à lire les ordonnances et qui ont décidé de se saisir du problème. Lucie et Léonard, médecins généralistes et membres du collectif Idéordo nous expliquent.  

« Nous avons réalisé que nos patients avaient du mal à comprendre les ordonnances qu’on leur remettait. Nous avons décidé de créer Idéordo »

Lucie Legros et Léonard Ferguen, à l'initiative de Idéordo. 

What’s up doc : Comment vous est venue l’idée de ce projet Idéordo ?  

Léonard Ferguen : Je suis médecin généraliste au Samu-social de Paris depuis deux ans et demi maintenant. Ce projet m’a été proposé par Lucie dans le cadre de ma thèse.

Lucie Legros : Je suis médecin généraliste, jeune diplômée comme Léonard, j’ai soutenu ma thèse en 2019. J’ai travaillé un an en centre de santé et je suis aussi au Samu social de Paris depuis deux et demi. Je suis coordinatrice. Leonard est plus sur l’accueil médicalisé et je suis chef de clinique universitaire à Paris-Saclay. L’idée du projet est venue au cours de notre exercice au Samu Social avec une autre collègue, Marie Wicky. Nous avons réalisé que nos patients avaient du mal à comprendre les ordonnances qu’on leur remettait. Nous avons cherché pour voir s’il existait quelque chose pour les aider. Nous avons contacté des associations, nous avons fait des recherches biblio et nous n’avons pas trouvé d’outils satisfaisants.  Nous avons donc essayé d’en créer un nous-même. C’est là que nous avons proposé à Leonard de nous rejoindre. Nous avons monté un groupe de travail pour le pilotage composé d’une moitié de médecins du SAMU-social et d’une autre moitié d’hébergés par le Samu-social.

Pourquoi avez-vous choisi d’être médecin généraliste au Samu Social ?

LL. : C’est une spécialité dont on ne parle pas suffisamment en début de cycle. Pour ma part j’ai eu la chance de faire des stages en médecine générale. J’ai eu des maîtres de stages passionnants qui m’ont montrée la richesse de la médecine générale. Nous devons gérer beaucoup de situations complexes. J’aime bien la complexité biomédicale et la réalité de terrain. Nous suivons des personnes de façon très proche, des familles. J’ai choisi d’exercer au Samu Social pour m’engager dans les inégalités. Nous sommes auprès des personnes exclues, en très grande difficulté. On se sent vraiment utile. Le fait d’être coordinatrice me place dans une position de tremplin vers la réinsertion.

LF. : Pour ma part c’est essentiel l’accès aux soins, les inégalités de santé. Nous nous occupons de personnes en situation d’exclusion. Cela pose plusieurs questions : comment on accueille des personnes ? Comment on les ramène dans le soin ? Cela sort un peu du champ médical standard.

C’est un outil imagé. Cela se présente sous forme de tableau, dans lequel chaque ligne du tableau correspond à une ligne d’une ordonnance, que nous faisons correspondre avec des pictogrammes sur des étiquettes

Comment fonctionne Idéordo ?

LL. : C’est un outil imagé. Cela se présente sous forme de tableau, dans lequel chaque ligne du tableau correspond à une ligne d’une ordonnance, que nous faisons correspondre avec des pictogrammes sur des étiquettes. Chaque colonne a une consigne qui correspond à la prise du médicament, à quoi il sert, comment le prendre, combien de fois, sa forme, est ce qu’il y a des consignes particulières, pendant combien de temps… Donc on a ces petites étiquettes avec des pictogrammes. Nous avons réfléchi tous ensemble comment faire comprendre aux patients comment prendre le médicament, qu’ils puissent regarder les images et se rappeler de ce que lui a dit le médecin. L’objectif est qu’ils puissent comprendre sans explications. C’est pour cela que nous avons besoin d’avoir le retour des hébergés. Par exemple pour le paracétamol, il y a une image d’un bonhomme qui se tient le ventre, donc c’est l’indication quand j’ai mal au ventre, il y a un bonhomme qui boit avec un verre d’eau, et il y a une gélule qui est collé dans une case matin, midi et soir. Et à la fin on a coché 5 jours sur le calendrier, donc c’est un médicament à prendre pour 5 jours.

LF. : Cela a été une co-construction avec les usagers. Les problématiques qu’ils rencontrent ont été vues avec eux.

pictogramme

Avez-vous des pharmacies partenaires pour qu’elles soient en mesure de comprendre l’ordonnance et de leur réexpliquer ?

LL. : Nous ne sommes pas encore à ce stade du projet. Mais l’objectif est que les médecins puissent s’en servir, ensuite les infirmiers et les pharmaciens aussi. Nous avons un pharmacien du Samu Social dans le groupe de travail afin que les pharmaciens puissent élaborer le plan de prise avec des personnes qui viennent dans leur pharmacie. Sachant qu’il y a un outil similaire qui existait, qui s’appelait l’ordonnance visuelle, et qui avait été testée par des pharmaciens.

Avez-vous des retours sur l’utilisation de l’outil ?

LF. : Dans le cadre de ma thèse, nous avons fait une évaluation qui a montré une bonne amélioration de la compréhension. En pratique, cela pourrait être utilisé dans les espaces sociaux qui rencontrent des problématiques de la barrière de la langue. Les médecins sont très demandeurs.

LL. : Nous avons donné des ordonnances test aux patients, une standardisée, et une avec l’outil. Et nous avons noté sur 100 la compréhension des ordonnances. Avec Idéordo, elle était de 100. La médiane d’amélioration sur toute la population était de 24, donc il y avait un quart de l’ordonnance de base qui était non compris, chiffre variable selon le niveau en français, et les capacités à lire, écrire... Les gens qui avaient le plus de mal à écrire et comprendre le français ont un meilleur taux d’amélioration.

Dans le cadre du projet, les hébergés de l’équipe sont sources d’idées et d’inspirations assez incroyables, pleins de ressources dont un monsieur qui s’est marié et qui maintenant habite dans un appartement avec sa femme

Vous avez reçu le prix Fondation Cognacq-Jay. Que représente-t-il pour vous ?

LL. : Cela nous a permis de continuer à développer le projet, financer les graphistes. Nous continuons à chercher des développements. Nous avons plusieurs axes de diffusion en termes de finalisation et surtout en termes d’évaluation.

Quels pôles de médecins l’utilisent pour l’instant, à quel point est-ce développé ?

LL : Pour l’instant nous finalisons l’outil.  Il sera prêt à la rentré 2023. À ce moment-là on le diffusera dans nos centres d’hébergement. Grâce au prix nous avons pu communiquer, plusieurs médecins sont intéressés mais aussi des infirmières. Nous espérons créer une newsletter pour tenir ces personnes informées de l’avancée du projet. Et d’ici la fin de l’année nous mettrons en place l’outil gratuitement en ligne.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/medecin-humanitaire-medecin-politique

Cette aventure vous a-t-elle fait vivre un moment marquant ?

LL. :  C’est extrêmement riche en expériences. Dans le cadre du projet, les hébergés de l’équipe sont sources d’idées et d’inspirations assez incroyables, pleins de ressources dont un monsieur qui s’est marié et qui maintenant habite dans un appartement avec sa femme. Ce sont ces personnes que le projet a aidé à se réinvestir, à faire attention à leur santé. Ils n’ont pas l’habitude qu’on leur demande leur avis, qu’on les implique et cela nous a montré tout ce dont ils sont capables. Et je pense que c’est une leçon pour tout le monde. Quand on inclut le patient, on sort des trucs super.

LF. : Je rejoins ce que dit Lucie. C’est un public stigmatisé. Globalement ce sont des personnes sans domicile fixe, anonymisés. Le cadre du comité de pilotage permet d’approfondir sur des questions précises, c’est très riche et très touchant.

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