« J’ai vu la misère au Sénégal dans mon enfance, toute ma carrière j’ai été une médecin engagée, aujourd’hui je m’occupe des femmes toxicos du périph »

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SOS solidarité, Lotus Bus, ou médecin pour les patients les plus pauvres de Bondy, Fadoi Saab-Theyse, médecin généraliste spécialisée dans la gynécologie a consacré sa vie aux plus démunis. L’aventure PERIF (Projet pour l’Équité, le Ré-accès au soin & l’Inclusion des Femmes précaires ), un système permettant aux usagères de drogue de bénéficier du dépistage, est donc pour elle une suite logique.  Entretien avec une femme engagée.  

« J’ai vu la misère au Sénégal dans mon enfance, toute ma carrière j’ai été une médecin engagée, aujourd’hui je m’occupe des femmes toxicos du périph »

Fadoi Saab-Theyse, médecin impliquée dans le projet PERIF

What’s up doc : Quel parcours ! D’où vient votre engagement ?

Fadoi Saab-Theyse : J’ai une particularité, je suis née au Sénégal et j’y ai grandi dans les années 60-70. Je ne suis arrivée à Toulouse qu’à mes 17 ans pour mes études de médecine. Même si j’étais enfant, je me rappelle des années de sécheresse que nous vivions. Ma famille vivait bien, mais l’enfant que j’étais a pu voir des gens de la campagne avec des bêtes qui mourraient. Ils venaient en ville, tapaient aux portes pour nous demander à manger. J’avais des parents extrêmement sensibles à ce genre de situation. Je dis souvent que j’avais un père athée et communiste et une mère, religieuse, profondément humaniste. Ils m’ont donné leurs valeurs. Nous partagions ce que nous avions, chaque enfant devait à tour de rôle descendre un paquet de nourriture, de pain, de riz ou de sucre à ceux qui se présentaient à notre porte. Cela nous arrivait aussi de discuter de ce que nous pourrions faire en plus.
Quand je suis arrivée à Toulouse, je n’ai pas retrouvé ce genre de situation. J’ai géré une vie de maman avec deux enfants, malgré les remarques que j’ai eu pendant mes études. Je me levais tôt le matin. Je faisais partie du premier tiers des étudiants, ceux qui avaient de bons résultats. J’étais appréciée dans les services du fait de ma maturité, acquise à cause de ma double ou triple vie. Et j’ai obtenu mon diplôme de médecine générale.

Au bout de 20 ans, je suis venue à Paris. Spontanément j’ai fait des missions avec Médecins du monde, puis avec le Lotus bus. C’est un bus qui tourne dans les quartiers de Belleville, pour les femmes prostituées. Toutes les semaines je les recevais en tant que gynéco, car j’ai passé un DU de gynéco obstétrique. Nous avons commencé à une ou deux patientes par semaine, pour finir à plus de 20 qui se disputaient pour venir. Je consultais avec une interprète. Quand j’ai quitté Lotus bus, je suis réengagée à Médecins du monde auprès enfants du périph. Je travaillé à Bondy, et je prenais en charge les enfants d’un camp de rom non loin, qui étaient atteints d’hépatite A. J’ai dû me vacciner moi-même, pour leur montrer que le vaccin était inoffensif.

Elle m’a expliqué les problématiques de ces femmes, leurs maladies et surtout qu’elles refusent catégoriquement de se rendre dans les hôpitaux. Elles sont tellement déconstruites, qu’il est impossible de les faire rentrer dans un service hospitalier.

D’où est né le projet PERIF ?

F S-T. : J’ai pris ma retraite en 2020. Au moment du Covid, je suis revenue faire des remplacements dans les hôpitaux. J’ai recommencé les maraudes avec Médecins du monde de manière régulières. À 65 ans, je suis l’une des plus jeunes bénévoles. À ce moment-là, j’ai rencontré une infirmière qui s’occupait des toxicos. Elle m’a expliqué les problématiques de ces femmes, leurs maladies et surtout qu’elles refusent catégoriquement de se rendre dans les hôpitaux. Elles sont tellement déconstruites, qu’il est impossible de les faire rentrer dans un service hospitalier. Elles ont peur qu’on les enferme. Petit à petit, est venue l’idée que l’on puisse faire un hôpital hors les murs.

Nous avons installé un camion dans les endroits qu’elles fréquentent, sur le périph, et nous nous sommes faits aider par une organisation déjà sur place : Aremedia. Une ONG a fourni un médecin, le car et l’infirmière. Aremedia a amené sa connaissance du terrain et les médiateurs chargés de faire venir les femmes, en les convaincant avec patience.

Si nous arrivons à les piquer, les analyses sont effectuées dans la semaine. Nous pouvons les traiter sur place, sans avoir à les amener à l’hôpital. Nous venons avec des médicaments. Et pour celles qui refusent les injections, il faut trouver la bonne manière pour leur administrer. 

Qu’avez-vous mis en place pour arriver à les soigner ?

F S-T. : Il y a des petites astuces. Le jour de la distribution des allocations, par exemple, il n’y a personne.  Quand elles sont sous l’influence de psychoactifs, elles regardent autour d’elles, mais ne sont pas là. Parfois, elles peuvent commencer par accepter un geste médical, puis tout d’un coup dire : « Ah non, non ! Je sais que je n’ai rien ou Jésus me protège ». Nous sommes en train de réaliser toutes ces limites. Heureusement nous pouvons compter sur Aremedia, ou d’autres associations comme Gaya ou Aurore, très expérimentées par ce public compliqué.

Alors peut être qu’avec ce prix, l’ARS va s’intéresser à ce que font les associations Aremedia 

Quels sont les résultats pour le moment ?

F S-T. : Nous avons commencé au mois d’octobre. Nous avons encore beaucoup de choses à comprendre. Nous avons réalisé 60 dépistages. Les taux d’IST sont à 60%. Il nous faut encore beaucoup de paramètres pour que nous puissions en tirer des conclusions.

Les femmes que nous avons vues devront être revues. Ce n’est pas parce que nous les avons traitées au mois de décembre, qu’il n’y aura pas de nouvelles contaminations.

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/6-mois-dinterne-en-mission-humanitaire-0

Avez-vous réussi à établir une relation suivie avec certaines ?

F S-T. : Il y en a qui reviennent mais très peu. Tout dépend de leur état mental et de leur structure psychiatrique. Notre file active dans la rue, est de 120 femmes. Pour l’instant nous n’en avons vu seulement la moitié. Le travail est de trouver comment faire venir les autres. D’après l’expérience du Lotus bus, il est très important de s’installer sur la durée. Qu’elles nous voient dans le temps, qu’elles assimilent nos têtes, qu’elles repèrent les jours où nous sommes présents.

Le projet a reçu le prix Fondation Cognacq-Jay, cela va-t-il vous permettre de développer d’autres actions ?

F S-T. : Pour Aremedia, cela va leur rembourser ce qu’ils ont avancé.  Nous sommes restés 5 mois sans infirmières. C’est Aremedia qui a dû avancer de sa poche les médicaments et payer des infirmières du privée pour 4 heures, cela coûte aussi relativement cher. Alors peut être qu’avec ce prix, l’ARS va s’intéresser à ce que font les associations Aremedia. 

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