Mourir hors scène

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Critique de "Petite soeur" de Véronique Reymond et Stéphanie Chuat (sortie le 6 octobre 2021)

Mourir hors scène

Lisa est dramaturge, Sven acteur. Deux jumeaux dont les chemins se sont éloignés. Mais quand Sven tombe malade - une leucémie - Lisa va tout faire pour le maintenir en vie et lui permettre de réaliser son rêve : remonter sur scène. Un film intimiste sauvé du classicisme froid par l'ardeur de son héroïne, la toujours exceptionnelle Nina Hoss, et qui gagne progressivement en subtilité et en émotion.

Ce sera donc la fin de vie, le thème majeur de cette année 2021. Sous des aspects divers, la plupart des films visionnés depuis cette reprise abordent néanmoins "autrement" ce sujet pour le moins douloureux, et se rejoignent dans leur capacité à transcender sa noirceur initiale. Comme si la perspective de la mort n'était pas un antagonisme à la vie, comme si le souvenir, l'art, la beauté, l'amour évidemment, pouvaient donner aux ultimes instants une pulsion insoupçonnée. Résoudre ce que la vie n'a pas pu résoudre.

Lisa et Sven sont deux êtres intimement connectés, gémellité oblige, et cette connexion semble s'exprimer encore plus dans l'épreuve-même de la maladie. Symbolisé par la greffe de moëlle de la première image, c'est ce lien souvent source d'inquiétude, de tensions, voire de rage, qui va irriguer tout le film. Vers un possible apaisement.

Fusionnels, ils sont chacun confrontés à un empêchement : si la maladie interdit à  Sven de remonter sur scène pour interpréter le rôle fleuve d'Hamlet, Lisa est incapable d'écrire depuis l'annonce du diagnostic. Le film adopte une narration en deux temps, qui se répondent en se différenciant mais au final en se complétant, comme le lieder de Brahms qui l'inaugure. Alors que dans la première moitié Sven se débat pour pouvoir surmonter sa faiblesse et les réticences de son metteur en scène fétiche, c'est Lisa qui, dès lors qu'il sera rattrapé par la rechute, sera gagnée par cette fièvre de ne pas laisser tomber, de ne pas rester impuissante face à la fatalité du déclin et la perspective de la mort. Il fallait le talent de Nina Hoss, déjà impressionnante dans les films de Christian Petzold, pour faire de cette petite bourgeoise réfugiée au sein du gotha suisse une Antigone en lutte non pas pour enterrer son père mais pour sortir de terre son frère jumeau. Son incarnation, juste et vibrante, permet au film de ne pas rester à la surface de certains aspects un peu téléphonés ou hystérisants, tels que le jeu parfois gênant de Lars Eidinger ou que le personnage de mère autocentrée interprété, de manière intelligemment peu appuyée, par Marthe Keller. 

Parce que le don de soi "physique" n'a pas suffi, Lisa va alors tenter d'insuffler un restant de vie à son frère de la plus merveilleuse des façons. Cela peut paraître simple, mais est extrêmement bien rendu par une narration et un jeu qui se resserrent, alors que tout semble partir à la dérive. Comme si, pour maintenir ce lien, et ainsi se retrouver, Lisa avait besoin de déclencher ce chaos dans sa vie. C'est lors d'une dernière scène prévisible mais magnifique qu'elle semble comprendre, et accepter, que ce lien est bien autre chose qu'un moyen de le maintenir en vie. Son regard et son silence sont la plus belle des démonstrations que les deux réalisatrices suisses cherchaient probablement à transmettre. En cela, le film doit grandement à son actrice.

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